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20 octobre 2010 3 20 /10 /octobre /2010 16:31

Ré-édition pour la communauté  "Le grimoire du Royaume"
LES VERSETS MERVEILLEUX

Livre 4


L'histoire que je vais vous conter, malgré ce que l'on a pu en dire, autour de vous ou dans une certaine presse à sensation, est absolument véridique ! Vous me rétorquerez, et vous aurez raison, "qu'est-ce qu'un policier comme moi, Peter Young, peut bien dire de plus qui n'a déjà été dit sur  l'affaire Cyborg 47132428 ? Eh bien, si vous le voulez, lisez mon histoire, et vous verrez que la vérité est parfois à des années-lumière de ce que l'on imagine ...

Souvenez-vous. Tout a commencé ce matin du 14 Mai 2982, lorsque me fut confié, par la Police Judiciaire Galactique, dont je suis un des plus brillants agents, la plus troublante des affaires de ce satané trentième siècle!

" Ah ! Peter ! Je vous attendais ... Asseyez-vous donc, et écoutez attentivement ce que j'ai à vous dire !"

Je connaissais bien ce genre d'entrée en matière, de la part de John Split, mon patron à la PJG. Confortablement installé derrière son immense bureau, il attendit que je sois moi-même assis pour me tendre, sans ajouter un mot, une photographie en trois dimensions, une grapholographie, de ce qui semblait être une jeune femme. Je regardai avec intérêt le document, puis, levant les yeux d'un air interrogateur, je le reposai sur le bureau, entre nous deux.

" Catherine Shogloff - marmonna-t-il, évasif - çà vous rappelle sans doute quelque chose ?

-Hum ... "

Je fouillai mon cerveau à la recherche du moindre petit indice ... rien !

" Non - répondis-je.

- Tonnerre ! Rien ne vous rappelle jamais rien ! - explosât-il, alors que je me ramassais sur mon siège - Catherine Shogloff ! Yaroum Shogloff ! L'ambassadeur de la République d'Altaïr, çà ne vous dit toujours rien ?"

Bon sang ! J'y étais ! Qui ne se souvient de Catherine Shogloff ? Elle avait " défrayé la chronique" (comme on dit lorsque l'on utilise un langage châtié), il y a quelques années. En fait, elle avait été la première Terrienne à épouser un Extra-terrestre ... Avec tout ce que ce terme traîne derrière lui d'odeur de souffre et d'étrangeté ! Tout au moins jadis, car aujourd'hui, on ne les appelle même plus des extra-terrestres, mais, qu'ils soient humanoïdes ou pas, on les nomme Altaïriens, Cygniens, ou Bételgiens selon leur système d'origine. Les Altaïriens sont des humanoïdes, des gens faits comme vous et moi, enfin plutôt comme moi, car vous ... Enfin, à part ses oreilles pointues et ses deux mètres cinquante, Yarum Shogloff était un bien bel homme ! Pas étonnant que Catherine en soit tombée amoureuse. D'ailleurs, comme je vous le disais, elle n'a été que la première d'une longue série. A croire que nous autres, Terriens mâles, n'offront plus aucun attrait pour nos femmes de la Terre ! Bon, bref ...

" On l'a retrouvée assassinée, à bord de son yacht intergalactique ! - lança John.

- Diable ! L'affaire me paraît simple. Un vaisseau spatial est un lieu assez restreint, et le meurtrier ne peut être qu'un membre de l'équipage ...

- Il n'y avait pas d'équipage ! Enfin, pas d'humains ou d'humanoïdes à bord. Rien que des robots ! Et vous savez très bien que les robots ne peuvent attenter à la vie d'un être vivant ! "

Oui, cela je le savais, comme tout un chacun. C'est une des lois fondamentales de la cybernétique moderne. Un robot, cyborg ou androïde, ne peut agresser ou avoir la moindre "mauvaise" pensée à l'égard d'un être vivant, car un système d'autodestruction le volatilise sur le champ.

" Alors ? - fis-je, sceptique.

- Alors ? Alors ? C'est bien ce que je vous demande d'éclaircir ! Vous partez demain matin pour Mars ... Le yatch de Yarum Shogloff est en orbite autour de la planète rouge, interdit à toute visite, sous la surveillance des Forces de Polices Martiennes. Votre ordre de mission est prêt, et votre passage retenu sur la navette. Tâchez d'élucider cette sale histoire au plus tôt. Nous ne tenons pas à avoir un incident diplomatique avec Altaïr ! Je vous ai préparé un dossier que vous aurez le loisir d'étudier pendant votre voyage. Je ne vous retiens pas ... A bientôt, et tenez-moi au courant !"

Ce " nous " qu'il avait employé laissait entendre qu'On souhaitait voir l'affaire élucidée au plus haut niveau ... Je me levai, lançai, en lui serrant la main, un banal " OK John à bientôt ", et refermai la porte du bureau derrière moi. A peine fus-je dans le hall, la main encore sur la poignée, que j'entendis John hurler à mon adresse: "Elisabeth part avec vous !"

Je bondis dans la pièce, regardai John avec un air mauvais, tandis que celui-ci, les yeux baissés sur un dossier, faisait mine de ne plus s'intéresser à moi ! Je claquai la porte en jurant et, enfonçant les deux poings dans les poches de mon blouson, me dirigeai vers la sortie... Elisabeth !!!!

Mon sac de voyage bouclé, je m'apprêtais à passer la soirée chez moi, à me détendre et à dormir un maximum d'heures, afin d'être en pleine forme pour le voyage. Mollement allongé sur mon lit, je parcourai un recueil de nouvelles d'un auteur français du passé, un certain P.F.J., de la bonne Science-fiction, ma foi. Le truc idéal pour m'endormir !

C'est alors que le carillon de l'entrée sonna stridemment. La porte, que je ne ferme jamais, s'ouvrit lentement, avant que je n'ai eu le temps de me lever. Un visage réjoui s'insinua dans l'entrebâillement :

" Hello! Peter... salut... déjà au lit ?"

Je vois, à votre regard éclairé, que vous avez compris : c'était Elisabeth.

" Salut ... entre - criai-je, furieux - que me veux-tu à l'heure qu'il est ? Ne peux-tu laisser dormir les braves gens ?

- Désolée, mon amour, je ne ...

- Ne m'appelle pas Ton amour! Je t'ai déjà dit un million de fois que je ne veux rien être d'autre, pour toi, qu'un..." Je n'avais pas [mi de dire cela qu'elle m'avait imprimé, sur le front, ses lèvres badigeonnées, d'ailleurs, d'un rouge à lèvre du plus mauvais goût (non, non, la couleur !).

Elle s'assit au pied de mon lit, avec un énorme dossier sur les genoux.

" Tiens - fit-elle en me jetant le paquet sur le ventre - j'ai réuni toute la doc' possible sur la mère Shogloff !

- Mais, tu es complètement folle ! Je me fous de ton dossier. Je veux dormir, tu entends ? Dormir!

- Bon, n'en parlons plus - minauda-t-elle - nous verrons cela demain, dans la navette ... Tu m'offres un dernier verre ?

- Non, je ne t'offre pas de verre. Laisse-moi donc dormir et fais-en autant! Cela te fera le plus grand bien !

- Bon ... "

Elle se leva et sortit de ma chambre, en m'adressant un sourire que je trouvai bizarre, très bizarre ... Voilà une affaire expédiée, pensai-je, en me replongeant dans ma lecture. Le type, dans l'histoire que je venais de commencer, avait inventé une espèce de Machine à Remonter le Temps ... La nouvelle s'intitulait " L'Immuable ". Passionnant. Le type débarque un beau matin dans son passé ! Quel choc ! Choc ? Non, ce n'est pas un choc, c'est plutôt quelque chose qui vient de tomber dans ma salle de bain. Non, ce n'est pas possible ! Pas çà ! Je me lève d'un bond et fonce, comme un fou furieux, ouvre la porte et... et la referme aussitôt. Elisabeth vient de prendre une douche et finit de se sécher, dans MON peignoir!

" Elisabeth, je compte jusqu'à trois. Si tu n'es pas habillée dans trois secondes, je te jette dehors telle que tu es ... "

La porte s'ouvre, et mon Elisabeth, dans Mon peignoir, sort en se frictionnant énergiquement la tête dans une immense serviette.

" Qu'est-ce que tu disais, mon amour? - feint-elle de s'enquérir.

Puis elle me passe sous le nez et va s'asseoir sur le lit.

Petite parenthèse si vous voulez bien. Vous allez vous dire, ce type est complètement cinglé, ou bien il faut qu'elle soit très laide ou très bête ! Alors, là, je ne vous trouve pas élégant du tout... Elisabeth est une très jolie fille. Vingt cinq ans, brune, des yeux merveilleux, et loin d'être stupide ... Seulement, voilà, elle s'est mis dans la tête de vivre avec moi. Mais moi, je ne veux mais alors pas du tout... c'est clair ? Ne me demandez pas plus de détails, c'est ainsi. Et puis cela ne vous regarde pas ! Fermez la parenthèse.

" Elisabeth, mon petit, vous filez un très mauvais coton ˆfis-je, sentencieux.

- Oui, Papa - me répondit-elle, le pouce dans la bouche.

- Ecoute, demain nous avons un long et très fatiguant voyage!

- Tu sais très bien, mon amour, que les vaisseaux spatiaux modernes sont à ce point confortable que l'on ne se rend même pas compte du décollage. Sans parler des salons et des restaurants de bord, avec leurs piscines, leurs saunas, leurs vidéothèques et leurs salles de billard ! Non, mon amour, tu ne me feras pas croire que tu es si fragile que tu ne puisses supporter un bref séjour dans un tel palace ... "

Elisabeth commençait à hausser le ton, et je savais comment cela allait finir. Crise de nerfs, cris tout court, pleurs etc. ... Et moi, pauvre idiot qui allait la prendre dans mes bras et la consoler. .. Vous voyez la suite ? Enfin, vous ne verrez rien, d'ailleurs. Bonne nuit !

 

Effectivement, nous ne ressentîmes pas la moindre gêne lors du décollage. Tout juste une légère sensation au creux de l'estomac. Je jetai un coup d'oeil par le hublot de ma cabine. Nous étions déjà loin de la Terre. Elle apparaissait comme une grosse boule bleue dans le ciel noir constellé d'une infinité d'étoiles. Je ne me lasserai jamais de ce spectacle. J'avais dû m'assoupir après le départ, car nous filions déjà vers notre destination depuis trois bonnes heures, ainsi que je pus le vérifier sur mon chrono-bracelet. J'avais peu dormi, il est vrai, la veille. Non, ce n'est pas ce que vous croyez ... J'avais fini par persuader Elisabeth que nous pourrions aller faire un tour avant de dormir. Et puis là, attablés tous deux autour d'un verre, je m'étais montré de la plus extrême goujaterie. Nous étions rentrés chacun de notre côté. Je n'avais pas revu Elisabeth depuis, pas même au contrôle d'embarquement. Elle n'allait pas tarder à se manifester.

Je décidai d'aller faire une petite balade de reconnaissance dans le vaisseau, et me dirigeai tout droit vers le bar. Une foule de consommateurs était déjà là, dans l'immense salle aux baies vitrées. Le spectacle était prodigieux !
Une grande station orbitale croisait dans nos parages. Des lumières fantastiques jouaient sur ses flancs en un ballet féerique; telles des lucioles, des points lumineux virevoltaient autour de la grande roue; des hommes en scaphandre, sans doute, ou de petits véhicules de transport ?

Deux mains m'enserrèrent la taille, tandis qu'une tête brune se posait sur mon épaule. Je me retournai, m'arrachant à ma contemplation.

" Bonjour, Elisabeth - fis-je en lui collant une bise sonore sur chaque joue.

- Bonjour, grande brute" - répondit-elle, d'un ton qui se voulait réprobateur, mais qui ne l'était, en fait, pas du tout.

Elisabeth a cela de bien qu'elle n'est pas rancunière, ce qui n'est pas la moindre des choses avec un ours comme moi.

" Bien dormi, mon amour ? - ajouta-t-elle

- Oui, merci, et toi ?

- Bof ! Tu sais, je m'en veux un peu pour hier soir.

- Mais non, c'est moi qui me suis montré impossible - fis-je, convainquant - Tiens, pour me faire pardonner, je t'invite à déjeuner à ma table. Ensuite, nous commencerons à étudier le Dossier Shogloff.

Nous nous installâmes à une table, près d'une baie, et commandâmes un copieux déjeuner" à la française ".

Là, si vous permettez, je change de temps. C'est très désagréable de raconter mon histoire au passé simple. Présent narratif, donc, si vous le voulez bien.

" Voilà en quelques mots ce que nous savons de l'affaire - commence Elisabeth, en suçant une olive, un verre de Gin dans la main gauche, la droite triturant un épais dossier à la couverture noir et sang, très stendhalien, donc !

- Buvons d'abord à quelque chose - dis-je en approchant mon verre du sien.

- A nos amours ?

- A notre mission, si tu veux bien !"

J'avale le contenu de mon verre d'un coup sec, et cale ma tête entre mes mains, dans la position de celui qui veut paraître très attentif à ce qu'on lui raconte. Et Elisabeth parle, elle parle et j'écoute, j'écoute et je pense, je pense et mon esprit va beaucoup plus vite que les mots. J'échafaude déjà mille hypothèses, et mille et une contre-hypothèses viennent contrebalancer celles-ci. Enfin ... que voulez-vous qu'il soit arrivé à une femme voyageant seule à bord d'un yacht galactique, avec une poignée de robots obéissants et réglés dans le moindre de leurs gestes, pour ne pas attenter à la santé, ou à la vie, d'un être vivant ? Seul un autre être humain, ou un humanoïde, a pu assassiner Catherine Shogloff. Qui ? Pourquoi ? C'est ce qu'il va falloir découvrir ...  Je me penche vers Elisabeth qui continue à parler sans même savoir si je l'écoute encore, lui retire délicatement le dossier des mains, et le pose sur le côté de la table, de telle manière que la serveuse, qui arrive avec nos entrées, puisse les poser devant nous.

" Cela fait beaucoup trop, Mademoiselle ! Comment avez-vous pu passer ceci à l'embarquement ? Il va falloir que vous me suiviez. Vous risquez une forte amende ...

- Mais je vous assure - implore Elisabeth - on ne m'a rien dit "là-bas" ! C'est que cela doit être autorisé !

- Que se passe-t-il ? - fais-je en m'approchant.

- Ne vous mêlez pas de cela, Monsieur - me répond l'officier.

- Je suis avec Mademoiselle - interviens-je, le ton volontaire et significatif - qu'avez-vous à lui reprocher ?"

Pour toute réponse, le gars ouvre le sac d'Elisabeth et me le met sous le nez. Un vrai capharnaüm !! Camera vidéo-laser 3D, magnétholoscope, appareils-photo-laser ...

"Mais, enfin, Elisabeth, où as-tu trouvé tout cela ?

- C'est un copain, enfin, un ami qui m'a aidé à embarquer tout çà ...

- Pour quel usage ? Te voilà journaliste, à présent ?

- Peter, mon chéri, imagine le fric qu'on peut se faire avec un tel reportage !

- Ecoute, mon petit, il fallait entrer dans une société de télévision, et non dans la Police ... Te rends-tu compte du pétrin dans lequel tu nous mets ?

- Quand vous aurez fini votre scène de ménage - me fait l'officier - peut-être voudrez-vous me suivre ? "

Je sors alors ma carte d'Officier Fédéral et la lui colle en face des yeux.

" Ah, bon, - dit-il - je vois qu'il n'y a pas grand-chose à tenter contre vous ?! Pourtant, je suis obligé de confisquer le matériel. Vous vous en tirez bien, Mademoiselle ! Heureusement pour vous que votre ami soit un Fédéral !"

Pour toute réponse, Elisabeth, vexée, sort sa propre carte de Police, l'exhibe à l'Officier interloqué, et file vers la sortie en ondulant des reins. Je fais une moue dubitative au gars, et sors à la suite de ma collègue.
Un grand type à la mine joviale s'interpose soudain entre la sortie et nous.

" S'cusez, - fait-il, en portant deux doigts de la main droite à son front - je crois bien que c'est vous que je cherche. Vous venez pour le meurtre de Catherine Shogloff ?
- C'est cela même - répond Elisabeth.

- Alors vous êtes Peter Young et Elisabeth Count ? Enchanté. Je me nomme Hilary Tooth, et j'ai mission de vous aider dans vos recherches. Je représente ici la Police Martienne. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites appel à moi. Je peux pratiquement TOUT. OK ?

Un petit silence suit ces fortes paroles, que chacun met à profit pour jauger l'autre. Elisabeth le rompt la première :

" Dites, pouvez-vous m'indiquer quelque chose ?

- C'est exactement ce que je viens de vous dire - fait Hilary, ravi de l'aubaine.

- Où sont les toilettes, s'il vous plaît ?"

Je pouffe de rire. Imprévisible ... Elle n'est pas bien, mon Elisabeth ? ...


Un frisson immense secoua toutes choses lorsque l'aube millénaire se leva sur ce monde encore neuf, où la Nature balbutiait ses premières créations. La végétation luxuriante abritait une vie aux formes insensées. Les grands marais grouillaient de reptiles et d'insectes, la plaine était couverte d'herbivores et de carnassiers. Les derniers mastodontes se faisaient disputer la pâture par les mammouths aux jambes solides et aux défenses redoutables. Les grands eucalyptus eux-mêmes ne résistaient pas aux formidables coups de boutoir des monstrueuses bêtes, lorsqu'elles décidaient, mues par Dieu sait quel instinct, de se frayer un passage dans la forêt dense et inquiétante de ces premiers jours du monde.

Un soleil timide perça soudain dans les nuées, éclairant d'un jour irréel les vapeurs cotonneuses de la nuit passée. La rosée scintilla de mille feux avant de prendre son envol vers le firmament, où voletaient déjà les premiers oiseaux du matin. Ce fut comme un signal qui déclencha un concert de cris et de bruits divers, semblant jaillir de nulle part. Une cacophonie montait de la Terre, telle une louange maladroite au Créateur.

La grande muraille basaltique qui surplombait ce théâtre dantesque n'était pas absente de ce chant d'allégresse. De ses flancs percés de grottes et de cavernes, une rumeur montait qui trahissait la présence d'une vie intense en son sein. Un machairodus rugit au loin qui interrompit un instant la quiétude toute fraîche de la faune alentour. La chasse commençait, et la vie avec elle, car il fallait tuer, en ces temps lointains, pour ne pas être tué soi-même. Le moment du réveil passé, chacun raviva ses instincts de survie. L'oiseau sur sa branche se tint coït, les protohyppus établirent leurs tours de veille, pendant que les derniers reptiles se tapirent dans les roseaux, prêts à happer les imprudents qui oseraient s'y aventurer.

D'un trou immense dans la muraille, une silhouette gauche et hirsute surgit en poussant des grognements rauques et rugueux. Appuyé sur le dos de ses mains, l'homme, mais en était-ce un, avança jusqu'au bord de l'aplomb rocheux et huma l'air humide de ses immenses narines poilues. Il fut bientôt rejoint par un autre, puis deux, puis trois ... Une quinzaine d'individus, mâles et femelles, jeunes ou moins jeunes, s'agitaient là, se bousculant, se lançant des coups de pattes ou des ruades. Se fut vite une mêlée indescriptible où chacun essayait de s'en tirer à son avantage. En fait, ils se disputaient le cadavre d'un gros rongeur, venu sans doute expirer là dans la nuit. Le calme revint enfin, quand chacun d'eux eût en main un lambeau de chair ou un os sanguinolent. Ce festin improvisé permit à la horde de s'accorder quelques heures de répit avant de partir en quête de nourriture.

Le soleil était à son zénith, lorsque quelques uns se décidèrent à descendre de leur promontoire, pour s'aventurer dans la plaine proche. Armés de grosses branches ou de cailloux, les plus robustes ouvraient la marche, écartant prudemment les grandes fougères et se retournant sans cesse. De leurs petits yeux, enfouis sous de proéminents sourcils broussailleux, ils fouillaient du regard l'espace environnant, craignant d'être surpris par quelque carnassier, ou herbivore belliqueux. Ils marchaient depuis peu, lorsqu'un rugissement monstrueux s'abattit soudain sur eux. Un mégathérium, sorte d'ours géant, se dressait devant eux, battant l'air de ses deux antérieurs aux pattes munies de griffes longues comme un bras d'homme. Tous s'enfuirent comme une volée de moineaux, en tous sens, en poussant des cris stridents. L'animal, en bon herbivore qu'il était, n'accorda pas plus d'attention à ces bêtes minuscules, et entreprit tranquillement de brouter le sommet d'un grand acacia qui avait eu la très mauvaise idée de pousser là ! La horde se regroupa bientôt au bord du marais. Le plus robuste des mâles, aux larges épaules couvertes de poils roussis de sueur, eût l'air de tenir un discours à grand renfort de gestes et de cris graves. Tous se tapirent autour de lui. Une femelle aux poils blancs arriva, sans doute retardée par le petit qu'elle traînait derrière elle par une main, et vint se blottir près du grand mâle, son enfant dans les bras. Les derniers grognements s'éteignirent et tous firent silence. Un bruissement monta des herbes qui s'écartèrent alors devant la horde. Une bête verticale apparut, droite sur ses deux jambes, imberbe, à la peau noire et d'une stature impressionnante. Le colosse velu se jeta au-devant du nouveau-venu en le menaçant de son bout de bois. L'autre fit face, brandit son épieu effilé au-dessus de sa tête, et, d'un geste rapide, frappa la brute au visage. Il y eût un moment où plus rien ne se passa. Le géant ne bougeait pas, observant de ses grands yeux jaunes, à la fois le chef abattu et la horde menaçante. Le petit homme trapu se releva enfin et recula prudemment sans perdre du regard son vainqueur. Il était visiblement intrigué par l'aspect de cet être qui, à première vue était semblable à lui. La différence tenait dans la stature, plus haute, la peau noire et imberbe, si ce n'est une toison crépue sur la tête, et le visage plat et expressif. Sur un signal du chef, tous se ruèrent soudain sur l'homme et le maîtrisèrent rapidement. Le géant ne bougeait plus. Ses quatre membres brisés le torturaient, mais il ouvrit les yeux, toujours pleinement maître de ses esprits. Les autres, après l'avoir copieusement frappé et lacéré de leurs ongles, le palpaient maintenant, comme des enfants curieux devant une merveille inconnue. L'homme gémit et tous reculèrent... Une femelle s'approcha, prudente, et abattit une lourde pierre sur le thorax de l'étrange créature. Un grand mâle lui martela le visage de sa massue, puis urina sur les plaies. Quand le géant ne bougea plus, une autre femelle, plus jeune apparemment, lui saisit une jambe et déchira son mollet de ses dents pointues et sales. Ce fut alors la curée, et, en quelques instants, il ne resta rien qui ressemblât à un homme de la dépouille du géant. Repue, la horde se replia sous un bosquet d'acacias, pour digérer, à l'abri du soleil pesant de cette fin de matinée. Le chef, un tibia sanguinolent à la main, choisit le meilleur endroit pour s'allonger, laissant aux autres mâles le soin de monter la garde. Une jeune femelle qui se couchait tout près, fut brutalement saisie par la brute qui eût un coït rapide avec elle, avant de la repousser vers les autres mâles qui se la disputèrent un moment. Le calme s'établit bientôt et les heures passèrent mollement, bercées par le bruissement des feuillages et les pépiements des volatiles qui nichaient là. Un peu avant la tombée de la nuit, les femelles se mirent à gratter le sol de leurs mains pour recueillir une moisson de racines tendres qu'elles donnèrent aux plus jeunes. Ils entreprirent de regagner leur grotte alors que la fraîcheur du soir tombait maintenant sur la plaine. La marche débuta pour tout ce petit monde, promesse d'embûches nouvelles et de dangers potentiels. Les mâles ouvraient toujours le passage de leurs bâtons, les uns se grattant l'anus, d'autres faisant leurs besoins naturels sans même s'arrêter... Derrière, les femelles ne cherchaient même pas à éviter les déjections dans lesquelles elles trainaient leurs rejetons. Un monde de puanteurs mêlées des douces senteurs de la végétation encore printanière pour cette époque de l'année. Ils arrivèrent au pied de la muraille, sans avoir, somme toute, fait de fâcheuse rencontre, si ce n'est un auroch, un vieux solitaire presque aveugle, qui fit mine de les charger un instant. Une surprise de taille les attendait lorsqu'ils commencèrent à gravir l'éboulis qui menait à l'entrée de la grotte. Ils furent accueillis par un bombardement de pierres et de débris osseux. Une foule de géants noirs aux cheveux crépus avait pris possession de leur demeure et en défendait l'accès ! Les préhominiens poussaient des hurlements de rage et d'impuissance devant ce nouveau coup du sort. Ils étaient dépossédés de leur bien par ces êtres étranges, eux qui étaient nés et avaient toujours vécu là ... Quels étaient donc ces envahisseurs ? De quels territoires étaient-ils venus ? Peut-être le leur était-il vide de tout gibier ? Les êtres velus, avec leur intelligence encore bien primitive, n'avaient qu'une idée: reprendre leur propriété et s'y abriter des prédateurs, bêtes ou hommes. Maintes fois, ils essayèrent de donner l'assaut, et autant de fois ils reculèrent devant la détermination des voleurs de grotte. Epuisés, ils renoncèrent enfin, et vaguement conscients du danger qu'ils couraient à rester là, la nuit venue, ils se mirent en quête d'un nouvel abri. Ils longèrent la falaise de basalte pendant un long moment, et aperçurent bientôt une faille sombre à l'allure accueillante. Mal leur prit d'avoir fait cette découverte ! Un machairodus et sa femelle, qui vivaient là, surgirent alors que les sans-logis ne pouvaient plus fuir ... En quelques bonds, les deux félins abattirent toute le horde, hommes, femmes et enfants. Ils emportèrent chacun un cadavre dans leur gueule, et les enfouirent au tréfonds de leur antre pour les dévorer quand la faim se ferait sentir. Oôo se sentit soudain fatigué. Encore que cela soit impropre à plus d'un titre... La fatigue, qu'est-ce ? Oôo est un être immatériel. Mais est-il un être ? Peut-être n'est-il rien, ou tout ? Soudain, cela signifie-t-il quelque chose quand on ne connaît, comme lui, ni début ni fin ... Et comment peut-il, ou elle, comment définir un... être qui n'en est pas un, comment peut-il se sentir fatigué ? Il n'a pas de corps matériel, sans doute est-il pur esprit ? En fait, il pense ... Il est Pensée. Il ne connaît pas Tout, mais il a une mémoire prodigieuse. Il ne sait pas, pourtant, qui il est, d'où il vient, où il va. Il a une perception directe et totale des choses auxquelles il prête attention, au gré de son bon vouloir. Il connaît deux dimensions, l'Espace et le Temps. Il s'y déplace à sa guise. Parfois il embrasse l'Univers d'un seul coup d'œil- si l'on peut imager ainsi le fait - parfois il est particule et s'infiltre dans la queue d'une comète, s'enivrant un instant de vitesse et d'espace. Une fois, il y a très très longtemps, mais comment savoir, il a été planète, puis soleil ...  C'est au hasard d'une de ses fantaisies qu'un jour il L'a rencontrée, Elle ... enfin, Elle, c'est tout à fait subjectif ! Il a ressentit, ce jour-là, qu'une autre pensée que la sienne était là, non pas tout près de lui, car il n'a pas de consistance précise, à un endroit déterminé, mais Avec lui. C'était une sensation fugace, de quelques fractions de milliardièmes de seconde, peut-être, ou de centaines de millions d'années, comment savoir ? Tout ce qu'il en avait retenu, c'était l'éphémère impression d'une présence, différente de ce qu'il était, lui, plus douce, plus... féminine, en un mot. Il avait trouvé cela agréable, passionnant, enivrant, pour autant qu'il pût donner un nom à cela. Mais sa mémoire prodigieuse avait enregistré, une fois pour toutes, cette rencontre, les effets qu'elle avait produit sur lui. Il n'avait de cesse de La retrouver, désormais ! Il fouillait l'univers en tous sens, s'infiltrait dans les soleils, regardait passer les galaxies, glissait au fond des Trous Noirs et dans les brasiers des Novae. Une autre fois, il se fit fourmi, pour aller voir sous terre, si Elle était là ... Une fois encore, il fit éclater une planète comme une noix, pour mieux explorer ses entrailles. Mais, rien ... Il ne trouvait plus trace de cette ... rencontre. Les géants noirs s’étaient endormis dans leur nouvelle demeure, cette grotte, prise de haute lutte aux" velus". Mais, ils avaient perdu leur chef; plus tôt, dans la journée, il était allé faire un tour de reconnaissance vers la rivière proche. Il n'était pas revenu ... Un autre avait pris sa place. Un jeune et vigoureux mâle aux larges épaules. Nul autre ne lui disputait sa chasse ou ses femelles. Seul le chef disparu, jusque là, était plus fort que lui. Le nouveau promu était connu dans la tribu, sous le nom de Che ... Si l'on peut dire qu'il s'agissait là d'un nom. C'était plutôt dû au bruit caractéristique qu'il produisait lorsqu'il se mêlait de déposséder un des siens d'un quartier de viande ou d'un objet qu'il convoitait. De la même façon, d'autres étaient connus sous les appellations aussi diverses que: Oum, Râ, Ourg, Vâ ou Bao ... Le langage naissait, au sein de cette première communauté d'êtres" intelligents". En tout cas, plus intelligents, à différents égards, que la plupart des autres êtres vivant en ces temps du monde. D'autres mammifères aussi, échangeaient des idées, à la base de sons inarticulés et peu nombreux. Les insectes avaient résolu depuis très longtemps leur problème de communication. Ils vivaient déjà en sociétés agencées et structurées, où chacun tenait sa place et assumait un rôle bien défini. Les fourmis en étaient là, elles aussi. Les hommes découvraient seulement le monde, et cette nouvelle race à la peau glabre se préparait sans doute à essaimer et à conquérir la planète. Pour l'instant, ils dormaient tous, sauf Che qui montait la garde, tenant une énorme massue d'une main, croquant un fruit sucré de l'autre, les yeux fixés vers les étoiles, peut-être déjà pensif, et se demandant ce que pouvaient bien être ces points brillants qui s'éteignaient au lever du soleil; le soleil, autre énigme pour un cerveau comme celui de Che ... La lune montait sur l'horizon lorsque la chose se produisit ! Che fut pris d'une sorte de vertige. Une pensée étrangère à la sienne s'insinuait en lui. Son intelligence primaire se mit soudain à croître, à fusionner, plutôt, au contact d'une autre, immense, incommensurable. Puis, il sut... Il n'était plus Che, il était Oôo. Il était Che-Oôo, une addition parfaite, deux connaissances qui n'en faisaient plus qu'une, une sorte de perfection, sans heurt, toute naturelle ... logique.

de Che-Oôo tourna la tête vers la grotte où la horde endormie exhalait une puanteur lourde et repoussante. Il savait qu'il était tout près de celle qu'il cherchait depuis si longtemps. Il n'allait pas se précipiter à sa recherche. Il devait monter la garde, veiller sur les siens. Ce sentiment était nouveau pour lui ... Il avait l'Eternité devant lui ... Elle était si près, qu'il la ressentait au plus profond de son être, comme une onde de plaisir, un parfum de vie, un contact total.

 

Dans l'immensité étoilée, minuscule portion d'Univers entre le Système Solaire et Gama du Centaure, l'hyper-espace s'entrouvrit soudain pour Phil et Fred, officiers en service commandé de la F.C.G., Force Confédérée Galactique.

Une mission toute simple, en fait, pour deux "vieux" bourlingueurs, quoique jeunes et vigoureux, comme Philippe Ledantec et Fred Casovas. Les deux hommes s'affairaient, chacun à ses attributions particulières, dans un silence épais, presque palpable. Le poste de commande de l'ORION, dernier-né de la Flotte Terrienne de la F.C.G., différait de tout ce qui avait été fait jusque là ... Plus le moindre bouton de contrôle, pas la plus insignifiante manette ou poignée ! Tout fonctionnait par le simple frôlement des doigts des navigateurs sur les consoles futuristes. Très absorbés par la lecture et l'interprétation des relevés que les cerveaux de bord débitaient sur les écrans digitaux, ils ne se parlaient même pas, confiants l'un dans l'autre sur la capacité de chacun à préparer la prise de contact prochaine avec l'astroport de Gamma du Centaure. L'astroport était, par ailleurs, le seul havre civilisé de la planète. Depuis sa découverte, deux siècles plus tôt, les hommes n'avaient pas encore pu en explorer toute la surface émergée. De timides missions avaient repéré quelques sites potentiels où créer des postes avancés, à l'usage des nombreux savants qui piaffaient d'impatience de découvertes et d'aventures.

L'ORION leur apportait matière à satisfaction ... Ses flancs regorgeaient de matériels sophistiqués, de petites unités mobiles, hélicos ou chenillettes. On avait même pu y glisser, tel un kit pour grands enfants, une petite usine fissio-atomique en pièces détachées. L'ORION se posa dans un silence impeccable sur la vaste étendue qui jouxtait les bâtiments de l'astroport. Une multitude de techniciens s'affairaient déjà autour du vaisseau lorsque Phil et Fred mirent pied à terre. Un grand gaillard roux les attendait au bas de l'engin, aux commandes d'un petit véhicule sur coussins anti-gravifiques !

" Hello, Phil, Fred ! Heureux de vous voir enfin parmi nous ! - s'exclama l'homme.

- Eddy! - s'écria Fred en levant les bras - Vieux frère, que fais-tu là ? Je te croyais sur Terre, dans ton ranch du Texas, savourant ta retraite ?!

- Montez! Vite ... Je vous expliquerai tout cela devant un bon verre de Bourbon !

- Diable! - s'étonna Phil - du Bourbon? Comment as-tu pu passer du Bourbon au nez et à la barbe des Contrôleurs de Masses ?

- Le métier, mon vieux, c'est le métier qui parle ... "

 


Quelques minutes après, mollement installés dans un salon du petit bar de l’astroport, que les colons avaient aménagé, les trois amis s'offrirent un moment de détente pour fêter leurs retrouvailles. Rien ne manquait à l'ambiance du lieu qui eût pu leur rappeler qu'ils étaient à quatre années-lumière du Système Solaire ...
Quelques plantes en bac synthétique avaient même été amenées de la Terre, pour éviter un dépaysement total. Le mobilier lui-même avait une facture digne des meilleurs fabricants de la planète-patrie.

" Eh bien - commença Fred - avant de passer aux choses sérieuses, il faut que je vous raconte ce qui m'a amené en ce sinistre endroit.

- Oui, raconte -l'interrompit Fred - mais dis-nous d'abord comment vont Mary et ton fils Ted ?!

- Ted est ici, sur la base. Il est adulte maintenant. Il a passé, avec succès, ses examens d'astrophysicien. Il est Chef du Labo de Recherches que nous avons implanté, l'an passé, aux abords de la Cité. Je vous emmènerai le voir plus tard. Quand à Mary, elle m'a quitté il y a plus de trois ans déjà ! Je crois qu'elle ne s'est jamais habituée à notre vie, à la mienne en tout cas ... Aussi, lorsqu'il m'a fallu faire le choix de prendre ma retraite ou pas, j'ai préféré rester actif encore quelques années, histoire de ne pas trouver le temps trop long ...

- Nous sommes navrés de ce qui t'est arrivé - dit Phil- mais heureux du hasard qui nous a fait te rencontrer...

- Ce n'est rien, les gars, le plus dur est passé ! Mon garçon me donne bien d'autres satisfactions. Et puis, qui sait, je serai peut-être bientôt grand-père !

- A quarante-huit ans ? - s'étonna Fred - il ne perd pas de temps, ton rejeton !...

- Pour çà, non ! Vous aurez d'ailleurs l'occasion de rencontrer l'élue. Elle est ici, elle aussi ! Elle est géologue. Sa mission finit dans deux ou trois jours ... Mais, vous ? Quand repartez-vous ?

- Pas avant un bon mois, terrestre s'entend - répondit Phil

- Mais il est temps d'aller faire notre rapport au commandant de la Base ... Est-ce toujours ce vieux râleur de Général Jean Dupuis ?

- Toujours ! Venez donc, je vais vous mener à ses quartiers, puis je vous retrouverai ce soir, au mess. Ah ! Je ne vous ai pas tout dit ... J'ai rempilé comme bagagiste; alors, laissez-moi vos affaires personnelles, je les mettrai dans vos appartements.

- Tu te fous de nous - pouffa Fred.

- Oui, bien sûr ... - fit Eddy en se levant- Je suis toujours le meilleur radionavigateur de tout l'Univers connu ... "

 

La journée avait été rude, pour les deux amis. La chaleur suffocante de l'étoile toute proche, autour de laquelle orbitait Gamma du Centaure, faisait régner à la surface de la planète un climat de serre tropicale. Le déchargement de l'ORION s'était éternisé du fait de la complexité des manœuvres, auxquelles les "rampants" de la base n'étaient pas préparés. L'équipage du vaisseau, sous le commandement de Phil, s'était évertué à conduire les opérations à la perfection. Les techniciens, venus en renfort du Système Solaire, auraient tôt fait d'initier leurs collègues-colons, eux-mêmes de parfaits spécialistes de la technologie de pointe issue des cerveaux terriens.

 On avait attribué aux deux jeunes hommes des appartements contigus. Enfin, si l'on peut appeler ainsi deux petites pièces de deux mètres sur deux, avec pour tout mobilier, un lit, un placard de rangement, une tablette et un fauteuil. Pour leur toilette, ils devraient user, comme tous les colons de la Base, des douches et toilettes collectives. En fait, cela ne les changerait pas beaucoup de la vie à bord de l'ORION ! Dès qu'ils furent rafraîchis et vêtus convenablement, ils se dirigèrent vers le fameux mess dont Eddy leur avait parlé. Sur le chemin, dans une enfilade de couloirs sans fin, ils croisèrent quelques individus qui, à leur mine réjouie, devaient avoir tout juste fini de se restaurer. Certains leur adressèrent un sourire de bienvenue, d'autres les arrêtèrent pour leur demander des nouvelles de la Terre. Ils débouchèrent enfin dans une grande salle, fournie de tables et de fauteuils. Tout au fond, sur leur gauche, une gondole présentait des mets fumants et appétissants. Cherchant du regard quelqu'un de connu, ils aperçurent effectivement, leur tournant le dos, leur compagnon attablé en compagnie d'un jeune homme très élégant et d'une jeune femme blonde. Ceux-ci se levèrent comme un seul à l'arrivée des deux amis.

 

"Fred, Phil, permettez-moi de vous présenter mon fils Ted et ma future belle-fille, Eva !

- Très heureux - firent-ils en chœur, en serrant mutuellement la main..

- Ted ! - s'exclama Fred, abasourdi- je ne t'aurais pas reconnu ! Tu étais haut comme trois pommes la dernière fois que ...

- Il Y a bien longtemps - coupa Ted - mais vous deux, vous ne vieillissez pas ...

- Sympa, ton fils -lança Phil à l'adresse d'Eddy.

- Eddy nous a souvent parlé de vous - intervint la jeune femme, en guise d'introduction à sa propre participation à la conversation naissante

- A l'entendre raconter vos aventures, je m'attendais à rencontrer deux vieux matelots aux rides profondes et aux épaules fatiguées!

- Décidément - minauda Phil - on ne veut pas prêter attention à nos tempes grisonnantes, ce soir ... Soyez certains que nous ne nous en plaindrons pas ...

- Ainsi donc, - reprit Ted - vous allez être des nôtres pendant quelques temps ? Tant mieux. On ne va pas regretter de voir de nouveaux visages parmi nous ! Gageons que si nos trois " bourlingueurs " veulent bien évoquer leurs "virées" galactiques, on ne va pas s'ennuyer ici, ce soir ! Eddy, après avoir commandé un vieux Bourbon, les invita à s'asseoir et à se joindre à eux pour dîner. Tout en mangeant, Fred et Phil, à tour de rôle, donnèrent à leurs hôtes des nouvelles fraîches du Système Solaire, en général, et de la Terre en particulier. Les autres convives ne disaient mot, se gardant bien de les interrompre ou de faire le moindre bruit, passionnés qu'ils étaient par tout ce que leurs amis racontaient. Le dîner se prolongea ainsi, deux heures durant, dans une atmosphère euphorique et chaleureuse. Chacun eut le loisir de mieux écouter, regarder et apprécier les autres. Une sympathie réciproque, presque concrète et tangible, naquit petit à petit entre les membres du groupe. Le reste de la salle ne semblait pas exister pour eux ... Ils ne se rendirent même pas compte que les autres tables s'étaient bizarrement vidées de leurs occupants.

" Voilà à peu près tout ce que l'on pouvait vous dire - conclut Fred - Vous en savez autant que nous sur notre bonne vieille Terre ! A moins que vous ne désiriez aussi savoir ce qui s'est passé ces temps-ci dans mon petit village des Rocky ?

- Non, çà va - s'amusa Eddy - nous allons vous parler un peu de nous ...

- Non, non! - coupa Eva - D'où venez-vous ? Quel est ce village des Rocky ? J'y suis moi-même née, à Ridgway, dans le Colorado, très exactement près de Montrose !... - Moi aussi - s'étouffa Fred - Je suis né sur la petite colline, derrière la maison du Pasteur Hedge !

- Oh ! - fit Eva."

A ce moment précis, Fred fut pris d'une sorte de vertige. il regardait fixement Eva qui, elle- même, semblait absorbée dans la contemplation des yeux de Fred ...

"Eh bien, Vous deux, en voilà une réaction - s'inquiéta Phil- Eh ! Fred, que t'arrive-t-il ? Parle, mon vieux ... "

Ted se pencha vers Eva qui parut ne pas le voir.

Eddy, gêné, toussota à plusieurs reprises, histoire d'attirer l'attention sur lui. Fred sortit alors de sa torpeur, cependant qu'Eva se tournait en souriant vers son fiancé, lui tapotant la main pour le rassurer.

 

" Excusez-moi - dit Fred, d'une voix encore empreinte d'une vive émotion - Je ne sais pas ce qui m'a pris. Sans doute est-ce le Bourbon - bredouilla-t-il

- Oui - fit Eva en écho - çà doit tenir à cela, et un peu à la chaleur.

- Bon, n'en parlons plus - coupa Eddy - et poursuivons la soirée d'une manière plus détendue. Qui serait partant pour passer une petite heure à la discothèque?

- Parce que vous avez aussi une discothèque ? - s'étonna Phil.

- Pardonnez-moi - osa timidement Fred - je crois que je vais aller me coucher. La journée a été dure. Il vaudrait mieux que je prenne un peu de repos.

- Bon, un de moins - dit Eddy - Qui d'autre ?

- Personne" - s'empressa de préciser Phil qui ne voulait pas jeter un malaise de plus dans cette atmosphère soudain trouble et d'une lourdeur palpable.

Fred ne dormait pas encore lorsque Phil rentra se coucher.

" Que fais-tu donc là, assis sur ton lit ? Je croyais que tu étais fatigué ?

- Je ne peux pas dormir, voilà tout ...

- Ecoute vieux, on est assez bons copains pour que tu me dises ce qui t'arrive ! Que s'est-il passé, ce soir ?
- Ce n'est rien, j'ai eu comme un vertige !

- Qui t'empêche de dormir ? Sais-tu la tête que tu as ? Celle de quelqu'un qui aurait vu un fantôme ... Allez, raconte ...
- Phil, mon vieux frère, je te jure que ce n'est pas grave. Et puis, tu ne comprendrais pas ... pas plus que moi-même en tout cas !

- Ne me dis pas que tu as eu un " coup de foudre" pour cette femme ? Tu sais, j’ai été très gêné, ce soir, vis-à-vis d'Eddy et de son fils. Nous avons eu l'impression qu'Eva et toi avez eu un soudain éblouissement l'un pour l'autre ! La sensation a été très très désagréable ...

- Ce n'est pas çà ! Et puis, je ne peux pas l'expliquer. C'est comme un trou noir duquel j'ai eu grand' peine à m'extraire. J'étais ... j'étais ... un autre !

- Eva nous a dit la même chose, tout à l'heure !!!

- Il faut que je la voie, que je lui parle ...

- Ne sois pas stupide. Reste là et dors. Demain tu auras tout oublié. Penses qu'Eddy est un ami. Il ne faut pas céder à tes impulsions ! Tu pourrais le froisser ...

- Il faut que je la voie, te dis-je !

- Je t'en empêcherai, par la force si nécessaire. Ecoute, sois raisonnable. Promets-moi de dormir, et nous reparlerons de cela demain, quand le Bourbon sera évaporé ...

- Je ne suis pas ivre ! Tu le sais bien, il m'en faut bien d'autres verres ... Mais je vais être raisonnable et faire ce que tu me demandes. Je ne dormirai sûrement pas, mais j'essaierai, promis. Bonne nuit !"

Sur ces fortes paroles, Fred s'allongea sur sa couchette, tourné vers la cloison, et ne dit plus mot. Phil partit vers sa chambre, en prenant soin de laisser la porte de communication entr'ouverte.

 

Le grand hangar, où le matériel vomi des flancs de l'ORION avait été entreposé, grouillait déjà d'une vie intense lorsque Fred et Phil arrivèrent, au petit matin. Eddy, que ses occupations avaient appelé ailleurs, n'était donc pas là. Ted se tenait près d'Eva, un peu à l'écart. ils vinrent à la rencontre des deux amis.

"Hello - fit Ted - Comment allez-vous ce matin ?

- Bien, merci - répondit Fred qui se sentait un peu visé par la demande, quoique proférée sur un ton très anodin..

- Nous avons passé une excellente première nuit sur votre planète - dit Phil - mais, quelle chaleur atroce !

- Excusez-moi encore pour mon ... malaise d'hier soir" - se crut obligé de rajouter Fred, qui surprit un regard en coin de son ami Phil.

Ted ne répondit pas et reprit, sans montrer le moindre trouble:

" Nous sommes là en curieux, Eva et moi, mais il va être temps pour nous de reprendre nos postes ! Mon père est parti déposer une équipe au site choisi pour l'implantation de la Centrale. Dommage que vous n'ayez pas été là plus tôt, vous auriez pu partir avec lui. A moins que n'ayez pas des choses très importantes à faire ce matin, auquel cas ...

- La suite des opérations ne nous concerne pas, mais nous devons veiller à la révision totale du vaisseau. Il doit être fin prêt pour le retour vers le Système Solaire. Nous devrons faire escale sur Mars, afin d'y déposer les échantillons minéraux que nous aurons embarqués ici ! Ensuite, direction la Terre, pour préparer notre prochaine mission - s'étendit Phil.

- Je dois justement continuer la collecte des fameux échantillons - dit Eva - seriez-vous intéressés à participer aux " carottages " et autres prélèvements ?

- Mon Dieu, oui - réfléchit Phil - L'ORION peut bien attendre quelques heures. Je vais laisser des instructions à l'équipage, afin qu'il puisse commencer à établir notre "check-list".

- Je vais rester ici pour superviser - fit Fred - Il vaut mieux que l'un de nous deux soit sur place pour parer aux pépins possibles ...

- Comme tu voudras ! Partons-nous ?

- Tout de suite" - assura Eva.

Ils s'éloignèrent, en compagnie de Ted, Fred les regardant longuement disparaître vers le hangar, les deux mains aux poches, le regard fixé sur la silhouette d'Eva.

 

 

Le petit hélico survolait maintenant la lagune voisine de la base, se dirigeant droit sur l'intérieur du minuscule "continent", vers les hauteurs, les seules de la planète. C'était un petit massif de deux milles mètres d'altitude environ, couronné d'une forêt d'une espèce de conifères, à ceci près que leurs fruits étaient plutôt cubiques, aux angles arrondis !

Le paysage qui se déroulait au-dessous du véhicule était d'une monotonie lassante, planté de tous petits arbustes, clairsemé çà et là de quelques uns ressemblant plus à des peupliers qu'à des sapins ...

"Que pensez-vous du spectacle ? - questionna Eva, rompant un silence qui durait depuis le départ.

- Impressionnant -dit Phil - on dirait de la savane, mais en plus vert, ou plutôt de la garrigue ... N’y avait-il pas d'animaux vivant là ?

- Peu ... Pour l'instant nous n'avons découvert que des petites espèces, des reptiles bizarrement poilus, et des minuscules rongeurs à deux têtes !

- Diable ! A quoi cela peut-il bien leur servir ?

- Sans doute une solution trouvée par Dame Nature pour assurer la protection de l'espèce : une tête mange pendant que l'autre fait le guet... et vice-versa, selon leur état de fatigue réciproque sans doute ..."

La conversation se poursuivit un temps, sur le même mode anodin. Le sol défilait, identique à lui-même au long des kilomètres parcourus, sous leurs pieds ... Eva fit bientôt diversion, ne surprenant pas tout à fait Phil, qui s'attendait un peu à ce qu'elle en vienne là ...


" Fred vous a-t-il reparlé de ce qui nous est arrivé hier soir ? - demanda-t-elle, faisant mine d'être très absorbée par ses instruments de navigation.

- Oui, ce matin lorsque nous nous sommes levés.

- Et que vous en a-t-il dit ?

- Rien de bien précis. Il ne sait pas ce qui s'est passé ! Il prétend, comme vous, avoir eu un soudain éblouissement, suivi d'un trou de mémoire ... Ou, plutôt, c'était comme si, un très bref instant, il avait été quelqu'un d'autre!

- Moi aussi ... c'est exactement cela ! J'ai eu cette même impression !

- Je me souviens que c'est là ce que vous m'avez dit, dans la discothèque ...

- C’est curieux, je lui parlais de son village, qui se trouve être aussi le mien ... Comment une chose si banale aurait-elle pu provoquer une telle réaction chez nous ?

- Transmission de pensée, peut-être, ou plus exactement de "ressenti" ? - renchérit Phil, mi-songeur mi-convaincu, tout en regardant attentivement Eva, comme s'il cherchait sur son visage des éléments supplémentaires qui viennent alimenter sa propre réflexion.

- Qu'avez-vous pensé à ce moment-là ?" demanda-t-elle vivement

Phil prit un instant avant de répondre. Puis, il se dit que mieux valait jouer la carte de la franchise :

"Je suis sûr qu'Eddy, Ted et moi avons dû ressentir la même chose, une gène indescriptible ! Pour ne rien vous cacher, j'ai eu l'impression de voir deux êtres pris soudain d'un "coup de foudre" l'un pour l'autre ...

- Ah oui ? - fit Eva, le sourire aux lèvres.

- Pourquoi ce sourire ?

- Pour être tout à fait franche, à mon tour, il faut que je vous dise que Ted a, effectivement,  pensé la même chose. Nous avons eu une fin de soirée très orageuse ...

- Cela paraît vous amuser ?!

- Tout à fait, cela m'amuse ...

- Je comprends. Vous tenez à Ted, et cela ressemble à une petite querelle d'un amoureux jaloux, ce qui vous rassure sur les sentiments qu'il nourrit pour vous ...

- Nous arrivons. " - dit Eva pour toute réponse, soudain plus attentive à la conduite de son véhicule.

Phil ne dit plus mot, regardant devant lui, suivant avec intérêt l'approche du chantier de recherches géologiques, plus très loin maintenant.

Fred ne revit Eva que le surlendemain. Phil avait pensé, un moment, que l'idée que son ami avait émise le fameux soir, de la revoir pour lui parler, lui était définitivement sortie de l'esprit.

Ce matin-là, Eddy les avait convoqués, tous deux, pour assister au départ du Pégase, petit vaisseau-navette qui devait ramener Eva et quelques membres de son équipe de géologues vers le Système Solaire.

Phil s'était étonné du fait qu'il n'était pas prévu que ces gens-là puissent revenir sur l'Orion, avec eux. Eddy lui avait expliqué que le Pégase était un bâtiment civil, privé de surcroît, et que des intérêts particuliers interdisaient ce genre d'accord. Eva était elle-même sous contrat, dans une grande firme européenne. La FCG avait, par contre, le monopole des transits de matériels et matériaux collectés.



à suivre…

 

Signature 4 

 

 

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31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 10:51

Chant V

Cinquième couplet

 

Françoise était non seulement une femme très jolie, intelligente, instruite, sportive et très sociable, mais, pour compléter ce tableau idéal, elle était d’un naturel gai. Elle s’amusait de tout, était une collègue agréable et recherchée. Sa compagnie, hors service, était une bénédiction pour ses amis. Ce jour-là, elle était plus que gaie ! Quasiment euphorique ! La vie lui souriait, à tous les étages de ses attentes. Ce jour-là, donc, elle venait de mettre un terme à une série de recherches ardues, et son équation finale allait lui valoir au moins le Nobel… Non, tout de même pas ! Tout au plus les félicitations de sa hiérarchie, très pointilleuse quand aux résultats du Laboratoire du CNRS et de ses chercheurs ! Sa gaieté était donc bien « normale », et elle soupirait d’aise, devant le temps qui passait pour elle, entre son métier, son mari, sa vie tout court, et, de plus, elle venait « d’adopter » un grand frère… C’est ainsi qu’elle considérait Dominique. Elle qui n’avait eu que trois sœurs, voilà qu’elle avait trouvé un homme qui partageait ses plaisirs, ses envies, ses idées, enfin, tout ce qui la motivait et la rendait heureuse…

Il est vrai qu’au début de sa relation avec Dominique, elle ne savait à quoi elle avait affaire ! Etait-il un amoureux potentiel ? Un Type qui aurait juste « profité » de cette relation pour « aller plus loin » ? Plus d’une fois, elle s’était demandé si elle-même n’était pas tombée amoureuse de lui…  Mais plus le temps s’écoulait, plus elle était certaine de ne pas se tromper : Dominique était bien son « âme-sœur », celui dont elle avait manqué toute sa vie, jusque là, son Frère de cœur…

Elle se demandait bien si cela ne causait pas quelque souci à Dominique. Comment se justifiait-il auprès de sa propre femme ? Comment Elisabeth prenait-elle cette relation entre son mari et une… amie ? Mais, après tout, ce n’était pas « vraiment » son affaire. Elle avait bien posé la question à Dominique, plusieurs fois. Il s’était contenté de répondre qu’il n’y avait aucun problème avec sa femme, et que s’il y avait un jour un, il « saurait » comment le résoudre ! Françoise, les yeux fermés, croyait en lui, et n’y songea plus. Elle était heureuse, voilà tout ! Elle attendit qu’il soit pratiquement midi pour sortir de sa rêverie… Elle rêvait de « Bravo », « Excellent travail » qu’elle ne manquerait pas de recevoir. Mais, l’idée lui vint qu’elle devait en informer Dominique avant tout le monde ! Pourquoi pas Bob ou son assistant ? Elle ne savait pas. Mais elle attrapa son téléphone et appela Dominique.

 

« Allo ? Dominique ?

-      Oui, ma Françoise, c’est moi… Que désires-tu ? Tu déjeunes avec moi ? Non ?

-      Oh, écoute mon Dominique, je ne pourrai pas aujourd’hui… Il m’arrive quelque chose de génial !

-      Ah ?! Je croyais que la seule chose géniale qui puisse t’arriver était de me voir… ?

-      Non, ce n’est pas de cela que je parle… Voilà, tu sais, je t’ai parlé de mes recherches actuelles au Labo ?

-      Oui, mais je n’y ai rien compris !

-      Je ne te demande pas de comprendre mais d’écouter ce qui m’arrive !

-      J’écoute…

-      J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! Eureka…

-      Tu as trouvé quoi ?

-      L’équation, la Solution ! Mon travail a enfin abouti… J’ai testé mille fois les résultats, et tout est bon…

-      Oh, je crois que tu avais tenté de me faire ingurgiter cela, et, si ma mémoire est bonne, il s’agissait de prouver que l’espace-temps était non un simple agglomérat  de ces deux facteurs, mais qu’en plus, une dimension psycho-analytique en faisait partie intégrante ?

-      Bravo ! Tu as bien retenu la leçon… C’est « exactement – à peu près cela » ! Quoique qu’il ne s’agisse pas de psycho mais de « photo » et pas plus d’analytique, mais de « hyper-dimensionnique » ! Les photons, tu connais ?

-      Mouais…

-      Les « dimensions », tu connais ?

-      Mouais…

-      Mais alors, tu connais tout mon Dominique ?!.... »

 

André, ce même matin, était au bureau et avait l’air bougon… Dominique, qui venait d’avoir Françoise au bout du fil, entre dans son bureau, gai comme un pinson et avec une envie toute pantelante de raconter la nouvelle à André.

 

« Bonjour, André… Puis-je entrer ?

-      Entre, Dominique, entre…

-      J’ai quelque chose à t’apprendre…

-      Marrante, triste ou quoi d’autre ?

-      Françoise a réussi…

-      A te sauter dessus ?

-      Non, arrête déjà de plaisanter… Elle a réussi dans les recherches qu’elle menait depuis des mois !

-      Depuis des mois ! Que cherchait-elle ? Un mec ? mais, elle t’a trouvé, non ?

-      Tu ne peux être sérieux deux minutes ?

-      Mais je suis très sérieux ! Qu’y a-t-il de plus important que ça ? Sauter et se faire sauter ?

-      C’est très vulgaire, et je m’étonne de toi… Que t’arrive-t-il ?

-      Oh, rien, si tu savais…

-      Eh bien dis-le-moi, ainsi je saurai !

-      Tu veux vraiment que je te le dise ?

-      Oui, vraiment… J’attends…

-      Ecoute, mon petit Dominique (Dominique était surpris de ce « petit » inhabituel dans la bouche d’André), je vais tout t’avouer… J’ai une relation avec la femme d’un ami !

-      Oh, c’est tout ? Tu m’as fait peur… je croyais que tu étais malade !

-      Cela me rend malade !

-      Bon, soyons sincères, mon « petit »André. Si cette femme s’est jetée dans tes bras, c’est son problème, non ? Comme je te connais, tu n’as jamais fait de crise de remords chaque fois que tu as eu une aventure avec « des » femmes ? Fut-elle celle d’un « ami »…

-      Oui, d’accord, mais cette fois-ci, c’est différent !

-      Serais-tu amoureux d’elle ?... Bon, écoute-moi bien, oublies donc ça pour aujourd’hui, et réjouis-toi avec moi du succès de Françoise…

-      Dis-moi, Dominique… J’ai tout de même une question très importante à te poser…

-      Oui, vas-y, mais la dernière, sinon « mon chef-toi » va m’enguirlander. Alors, cette dernière question TRES importante ?

-      As-tu jamais trompé ta femme, Elisabeth ? … même depuis peu, avec ta Françoise ?

-      Jamais ! J’aime Elisabeth et je n’ai vraiment aucune envie de la tromper, serait-ce avec la Vénus de Milo ! Je suis heureux avec elle. Quand à « ma » Françoise, comme tu l’appelles… n’oublies pas que c’est toi qui me l’as présentée, et que nous sommes devenus de véritables amis, rien que des amis… ! »

-      Vraiment ?! Rien que « des amis » ?...

 

 

 

Chant V

Sixième couplet

 

Elisabeth tournait en rond… Elle avait amené Gérard à l’école, et, mises à part quelques courses qu’elle venait de faire dans les boutiques du quartier, elle n’arrivait pas à se concentrer, que devait-elle décider… Quel parti prendre ? Tout avouer à Dominique ou ne rien dire ? Elle était persuadée, car c’était clair et évident, qu’il avait une aventure avec « sa » Françoise… Mais, est-ce que cela allait durer… Dominique avait l’air si sincère quand il disait « Je t’aime » à son épouse… Peut-être était-ce là une passade, comme beaucoup d’hommes en ont ? Passée la quarantaine, ils ont le fameux « démon de Minuit »… Ils se retournent vers ce qu’ils ont déjà vécu, et sont vraisemblablement déçus d’avoir « fait si peu » ! Mais, non, lui disait sa mauvaise conscience, cela ne tenait pas debout. Tous deux avaient une vie agréable, un enfant merveilleux, de l’argent, un bel appartement, enfin, que pouvait-il manquer ? De l’amour ? Elle et lui en avait, l’un pour l’autre… Des « rapports »… Sur ce plan-là, c’était vrai, ce n’était pas des embrasements du début ! Mais tous les couples passent par ces instants de doute, et de crainte de ne plus être désiré…, de ne plus plaire à l’autre. Physiquement, Dominique n’était plus le beau jeune homme qu’il fut. Et elle, Elisabeth n’était plus une jeune fille « appétissante » et « à croquer sur-le-champ » qui avait séduit Dominique, mais, comme on lui disait parfois, elle « promettait » encore ! Elle entretenait sa beauté, son corps, ses attitudes… Enfin, tout ce qui devrait séduire un homme pendant toute une vie ! Et elle pouvait se vanter de faire tourner bien des têtes… Ah, oui, celle d’André aussi ! Mais, là, ce n’était pas la même chose, de son point de vue. André était arrivé au moment « m » où elle avait eu besoin de se rassurer ! Maintenant, si cette relation durait, c’était… c’était… Elle ne savait d’ailleurs pas au juste pourquoi ! Sans doute à cause de son désespoir, d’avoir vu Dominique fuir vers d’autres bras que les siens ? Cela la soutenait moralement d’être « une femme » désirée… Etait-elle coupable ou responsable en quoi que ce soit ? Non, elle ne le  pensait pas le moins du monde… Et puis, cette « traînée de Françoise » avait tout fait pour donner cette pichenette destructrice, qui faisait chanceler son couple. De toute façon, elle aurait sa revanche sur Françoise ! Elle aussi paierait à son heure…

Elisabeth se saisit du téléphone et appela André :

 

« Allo ? André ?

-      Oui, ma belle, ton mari quitte tout juste mon bureau… Cela a failli être un problème pour te répondre… Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il, plus exactement ?...

-      J’ai besoin de te voir, à midi…

-      Pas aujourd’hui, pas aujourd’hui… J’ai des soucis !

-      Quels soucis pourraient t’empêcher de venir me voir ?

-      Je…je culpabilise…

-      Comment ? Tu culpabilises à quel propos ?

-      Toi et moi…

-      Ah, non… Pas ça ! Cela te prend tout d’un coup, comme ça, comme une envie de…

-      Arrête ! D’accord, je viendrais tout à l’heure. Il faut que je t’explique quelque chose…

-      Eh bien, quand tu seras près de moi, tu auras tout le loisir de m’expliquer cela… A tout à l’heure, « mon beau » ! Je vais t’attendre encore plus impatiemment que d’habitude… »

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16 août 2010 1 16 /08 /août /2010 15:33

Chant V

Troisième couplet

 

Dominique, un soir où il revenait plus tôt du bureau, trouva que la maisonnée était plus « bizarre » que d’habitude… Il entra comme il faisait chaque soir, pendant son pardessus sur le perroquet de l’entrée, et lançant à tue-tête :

« Bonsoir Chérie ! »

 

Pour toute réponse, il entendit un grognement lointain, comme si quelqu’un parlait du fond de l’appartement… Il se dirigea cers le bruit, c’est-à-dire vers la salle de bain. Il ouvrit la porte et aperçut Elisabeth, sous la douche, qui marmonnait « oui… je suis là ! », la tête enveloppée d’une serviette et frottant activement ses cheveux…

«  Ah, Chérie, excuses-moi, je ne savais pas que tu étais en train de faire ta toilette » – fit-il en refermant la porte.

Puis, il se ravisa, et rentra dans la pièce :

« Mais, où est Gérard ?

-      Il dort chez son copain Eric – arriva à articuler Elisabeth, débarassée de sa serviette et secouant sa chevelure….

-      Cela était prévu ?

-      Non, il m’a fait téléphoner par la Maman d’Eric !

-      Pourquoi ?

-      C’est l’anniversaire d’Elodie, la petite sœur d’Eric…

-      Bon ! »

 

Dominique posa ses affaires dans sa chambre. Quelques minutes après, Elisabeth arriva dans le salon où Dominique venait de prendre place.

«  Voilà, Chéri, j’ai fini…

-      Ah ? Mais tu n’as pas l’habitude de prendre ta douche si tôt !

-      Oui, peut-être. Mais que cela change-t-il ? Gérard n’étant pas là ce soir, j’en ai pris à mes aises…

-      Tu as bien fait. Tiens, je vais aussi aller prendre un bon bain. Que dirais-tu que nous sortions, ce soir, puisque nous sommes seuls et « en avance sur la soirée » ?

-      Ma foi, si cela te convient, je suis d’accord. Il y a longtemps que tu ne m’as pas amenée dans un resto’ !

-      Ok… J’en connais un sympa, pas très loin du Centre-ville.

-      Pas celui où tu déjeunes avec « ta Françoise », au moins ?

-      D’abord, ce n’est pas « ma » Françoise, et de plus, je t’ai déjà expliqué qu’elle n’est qu’une amie !

-      Une « bonne amie » ? Une « petite amie » ?

-      Allons, ne commences pas à jouer à ce jeu-là… Tu sais très bien ce que veux dire. Elle n’est qu’une amie, comme serait mon ami un homme, si elle en était un !

-      Foutaises… Mais, bon, tant pis ! Je suis cocue et ne m’en porte finalement pas plus mal…

-      Elisabeth, ma Chérie, vas-tu cesser ! C’est toi que j’aime. Je ne suis ni l’amant ni le petit ami de qui que ce soit !

-      C’est bien moi que tu aimes ?

-      Oui, mille fois oui…

-      Alors, tu vas m’en donner une preuve ! Promets-moi de ne jamais la revoir…

-      C’est très méchant et injuste de ta part ! Pourquoi veux-tu me faire ça ?

-      Te faire « ça » ? Et toi, que fais-tu, des heures entières avec cette « traînée », je ne sais quand ni où ! Qui me dit que tu ne passes pas des après–midi entiers avec elle ?!

-      Bon, cette fois, s’en est trop ! Je ne te demande pas comment tu occupes tes journées, toi ! Je te fais confiance… C’est ça qui te manque, de la confiance envers moi !

-      Bon, arrêtons les frais pour ce soir – se reprit Elisabeth, soudain gênée – Ne devais-tu pas me sortir ?

 

Dominique prit quelques secondes de réflexion, puis :

 

« Oui, tu as raison ! Sortons, puisque j’ai plaisir à le faire avec toi !

-      Oh, oh… ! Oh, oh, oh… »

 

Elisabeth passant devant Dominique, eût la surprise qu’il se penchât vers elle et lui déposât un baiser sur le cou.

 

 

Chant V

Quatrième couplet

 

Le dîner s’éternisa un peu… trop au goût de Dominique qui, en fait, tombait de sommeil ! Elisabeth, elle, d’abord très réservée au début, se mit à espérer que cette soirée augurait un renouveau dans sa relation avec son mari. Au fond d’elle, comme un lancinant remord, déjà, se déroulait les scènes de ces moments vécus avec André, ses touchers amoureux et cachés que tous deux pratiquaient, depuis maintenant quelques… Oh, mon Dieu, pensa-t-elle, déjà si longtemps ! Et si elle s’était trompée sur Dominique et Françoise… Et s’il n’y avait vraiment que de l’amitié, entre eux… Mais son esprit tentait d’oblitérer sa propre conduite. Mais son esprit, subconsciemment, lui murmurait que non, que ce n’était pas possible, qu’ils avaient sûrement une liaison coupable… Mais, inconsciemment, ce même esprit lui soufflait à l’oreille que, même si cela était le cas, elle pouvait reconquérir Dominique, qu’elle ne craignait pas la différence avec cette « autre femme ». D’ailleurs, peut-être était-ce vrai, que Dominique l’aimait toujours, elle… Il lui avait dit de façon si sincère, tout à l’heure, avant qu’il ne l’embrasse dans le cou.  Et si elle pouvait tout effacer et revenir en arrière… Mais le temps n’est pas quelque chose que l’on puisse remonter comme cela, d’un coup de baguette magique !

 

« Tu as l’air « ailleurs », Chérie – intervint Dominique.

-      Oh, non… Je pensais…

-      Tu pensais à quoi ?

-      A toi et moi, assis là, dînant « comme au bon vieux temps » !

-      Pourquoi le temps aurait-il été bon, auparavant, et ne le serait plus maintenant ?

-      Comme ça… Je ne sais pas pourquoi…

-      Mais si, dis-moi tout ce que tu as sur le cœur. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?

-      Ecoutes, Chéri, ce n’est pas le moment d’aborder ce type de discussions. Finissons cette soirée comme elle a commencé, et puis nous…

-      Comme elle a commencé ici, ou à la maison, avant de partir ?

-      Chut ! Tais-toi donc Chéri ! Pourquoi m’as-tu embrassée dans le cou, tout à l’heure ?

-      Parce que j’en avais très envie, comme d’habitude…

-      Tu en as souvent envie, « d’habitude » ?

-      Ben, oui, et tu sais fort bien que j’ai toujours eu ces envies-là, te prendre dans mes bras, te câliner, t’embrasser, te…

-      Me faire l’amour ?

-      Oui, bien entendu, même si le temps passant a un peu sapé en nous ce besoin charnel…

-      Que nous avions, il y a quelques années…

 

La discussion commençait à ennuyer profondément Dominique, à ce moment-là. Il détestait parler avec Elisabeth de cette distance qui s’était matérialisée entre eux sur le plan sexuel. Il savait, comme tout un chacun, que les ébats amoureux ne duraient qu’un temps. Trois ou quatre années, disait-on… Les tenants de cette théorie prétendaient que c’était là un héritage atavique de nos ancêtres lointains. L’Homme avait « envie » de la Femme, tant qu’elle était en mesure de lui donner une descendance, et les trois ou quatre années pendant lesquelles elle les élevait et les allaitait !…

 

« Si nous rentrions, maintenant – fit Elisabeth, reléguant les réflexions de Dominique sur ces ancêtres des Cavernes au diable vauvert.

-      Si tu veux, Chérie, si tu veux… Voudrais-tu autre chose ? Un café ? Une tisane ?

-      Non, merci. J’ai très bien mangé ainsi. Je voudrais…

-      … ?...

-      Toi !

-      Moi ? C’est-à-dire ?

-      Rentrons et fais-moi l’amour !

-      Ah !? L’amour…

-      Oui, fais-moi l’amour… »

Rentrés chez eux, Dominique ne mit pas plus de quelques minutes à s’endormir… Elisabeth, déçue, déconvenue, ulcérée, se tourna de son côté et le cours de ses pensées quotidiennes revint, aussi pernicieux qu’avant cette soirée. Donc, si Dominique ne voulait plus d’elle, c’était bien là le signe de ce désamour qu’il y avait entre elle et lui ! Comment pourrait-il la désirer, s’il en désirait une autre ? Après tout, cette soirée était « du cinéma », de la poudre aux yeux destinée à lui faire croire qu’il l’aimait toujours, qu’il était innocent des doutes qu’Elisabeth nourrissait à son endroit.

Mais elle aurait une revanche, Sa revanche… Elle ne réussit pas à s’endormir, ce soir-là, et rumina toute la nuit ou presque. Lorsqu’elle se réveilla, au petit matin, elle avait l’impression qu’un camion lui était passé dessus… Dominique, lui, ne se réveilla que bien plus tard, en retard même pour se rendre au bureau !

 

à suivre...

 

Signature 4

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11 août 2010 3 11 /08 /août /2010 18:50

 

Le lendemain matin, elle ne bougea pas de son lit, prétextant une « fatigue passagère ». Dominique prépara le petit déjeuner de Gérard et monta le sien à Elisabeth. Après un bref « au-revoir » du bout des lèvres, il partit amener son fils à l’école.

 

 

Chant IV

Deuxième couplet

Le week-end et lundi passèrent… Mardi ! Le jour fatidique était donc arrivé… Sans précaution aucune, Dominique, en partant pour le bureau, se saisit de son sac de sport qu’il déposa dans le coffre de sa voiture.

André et lui arrivèrent de concert devant la porte de l’entreprise :

« Ah ! Dominique – attaqua André le premier – prêt pour ce soir ?

-      Bonjour André ! Oui, prêt pour ce soir.

-      Bien… attends-toi à une surprise !

-      Une surprise ?

-      Oui, j’ai une forme à tout casser aujourd’hui ! Je te réserve une « raclée maison ! »

 

La journée s’écoula, ni plus courte ni plus longue que d’habitude. Dominique pensait bien à « la soirée », certainement, mais aussi à Elisabeth dont il ne comprenait pas, ou ne voulait ni ne pouvait comprendre l’’état d’esprit qui l’animait. Etait-elle jalouse ? Sans aucun doute… De Françoise ? Sûrement… Pourtant Dominique n’avait pas le sentiment d’être infidèle en rencontrant la jeune femme. Physiquement s’entend ! Pour les sentiments ? Il ne savait qu’en penser. Il aimait vraiment Elisabeth… mais était attiré par Françoise !

 

Ce mardi-là, donc, Elisabeth était chez elle, seule comme à l’accoutumé. Gérard était à l’école et Dominique au bureau. Il n’était pas loin de dix heures du matin lorsqu’on sonna à la porte. Elisabeth, pensant que cela pouvait être quelque démarcheur, ne broncha pas, dans un premier temps. Alors, la sonnette retentit une autre fois, puis une autre… Elisabeth se décida à se lever du fauteuil où elle feuilletait un magazine, et alla ouvrir à l’importun. Toute surprise, elle aperçut André, un sourire ravi aux lèvres :

« André ! Si je m’attendais à voir quelqu’un ce n’était pas toi !

-      Bonjour Elisabeth… Tu me laisse sur le paillasson ou j’entre ?

-      Entre donc, bien sûr ! Que fais-tu là à une pareille heure ?

-      Eh bien, j’étais dans le quartier, pour un client… alors, je me suis dit que je pourrais te rendre une visite amicale !

-      Tu as bien fait. J’attendais, en lisant, l’heure de me mettre à cuisiner.

-      Tu cuisines pour toi seule ?

-      Non, moi, le midi, je « chipote », j’avale quelques fruits ou un yaourt. J’allais préparer le repas du dîner. Tu sais, deux hommes à table, cela nécessite que l’on leur mette quelque chose de consistant à manger !

-      Oui, je comprends bien cela…

-      Je t’offre quelque chose à boire ? Un café, un thé ?

-      Non, merci, ni café ni thé… plutôt un alcool, vu qu’il est presque l’heure du déjeuner. »

 

N’ayant pas prévu cet apéritif impromptu, Elisabeth n’avait pas « fait le plein » de son bar.

 

-      Whisky ? – proposa-t-elle – Je n’ai que cela !

-      Va pour un whisky, ma belle ! Mais tu m’accompagnes…

-      Tu sais, je n’ai pas l’habitude de boire à cette heure-là !

-      Hoooo, je sens que je vais refuser de boire si je suis seul !

-      Bon, d’accord, mais juste un tout petit verre. »

-      André s’installa dans le grand fauteuil du salon, pendant qu’Elisabeth sortait deux verres et la bouteille de whisky. Elle servit une rasade qui lui parut suffisante à André, et versa un léger « doigt » dans son propre verre.

 

« Glaçons ? – demanda-t-elle.

- Non, merci ! Ce serait dommage de refroidir nos verres et l’atmosphère !

- Ah ? Tu trouves l’atmosphère pas assez chaude ?

- Ben, vois-tu, je me sens tout intimidé devant une si jolie femme que toi, et, pour ne rien te cacher, je voudrais te parler…mais pas de si loin. »

 

Ce-disant, il tapota la place vide à côté de lui, pour faire comprendre à Elisabeth qu’elle devrait s’y asseoir. Elle s’exécuta, pensant qu’André avait quelque chose d’important à lui dire, et qu’il ne voulait pas parler à trop haute voix. Les murs auraient-ils des oreilles pour André ?

« Alors, André, qu’as-tu à me raconter ? Tu as un air bien mystérieux ! »

 

Pour toute réponse, André posa sa main sur celle d’Elisabeth, et commença :

 

« Eh bien, voilà… je voulais te parler de toi et Dominique.

-      Ah ! Je me doutais bien qu’il s’agissait de lui !

-      Oui…et non ! Ecoute mon petit, tu es une femme intelligente, jolie, et j’ajouterais extraordinaire ! »

Elisabeth avait sursauté, intérieurement, en s’entendant appeler « mon petit ». Bof, se dit-elle, André est peut-être P.D.G., mais après tout, son éducatio mondaine laissait-elle à désirer.

«  Tu vas me faire rougir ! Voilà deus fois que tu me dis belle ou jolie…

Ah, écoute, je suis un garçon direct ! Si je te trouve jolie, je te le dis, c’est ainsi ! »

 

André se saisit de la bouteille de whisky et s’en servit une seconde rasade. Il fit de même avec le verre d’Elisabeth qui fit mine de refuser, en vain.

 

« Bon – reprit André – tout d’abord, portons un toast !

-      Un toast ? A qui ? A quoi ?

-      Au hasard qui nous a fait nous rencontrer.

-      Nous ?

-      Oui, nous quatre, à Bénodet…

-      Ah, bon…

-      Te rends-tu compte que cela a été un événement considérable ?

-      Considérable ? Mais, mon Dieu, je ne vois pas en quoi… Tu exagères, André !

-      J’exagère ? Mais non, ma belle ! Sans vos vacances en Bretagne et le fichu avion que nous n’avons pas pu prendre, je ne serais pas, aujourd’hui, avec toi !

-      Si on veut ! Cela n’a rien d’extraordinaire ! Parle-moi plutôt de Dominique…sinon, je vais penser que tu n’es là que pour me faire la cour !

-      Te faire la cour ! Oh, en voilà bien des « mots de femme » ! Tu n’es pas, j’en suis sûr, de celles qui mettent de la distance entre elles et leurs amis, ‘au cas où » !

 

La conversation ne finissait pas de commencer. La bouteille, elle, était bien entamée. André buvait rasade sur rasade, et Elisabeth, réticente au début, finissait par perdre le compte, saoulée autant par l’alcool que par le verbiage d’André. Plus d’une heure était déjà passée, et Elisabeth n’avait pas encore obtenu le moindre mot sur Dominique ! Qui plus était, elle commençait à ne plus savoir ce qu’elle faisait là, ni ce qu’André était venu faire chez elle…

A ce moment-là où elle n’arrivait plus à se contenir, André la tira doucement mais fermement contre lui.

 

Chant IV

Troisième couplet

Elisabeth repris ses esprits petit à petit… Elle ne savait pas vraiment où elle était, ni quelle heure il pouvait être. La seule chose dont elle prit conscience, c’est d’être allongée… Elle avait du mal à ouvrir les yeux, et la tête lui faisait mal. Comme un bourdon qui sonnerait au loin… Elle sentit bien, soudain, qu’on la touchait. Elle fit un effort pour émerger de sa torpeur, et pensa que, finalement, tout était normal. Dominique était là, couché près d’elle, et il faisait jour dans la chambre… Etait-ce un jour de repos, un dimanche ? Comment Dominique pouvait-il être au lit par une clarté pareille ? Il devait être pas loin de midi… Elle se retira vers son « coin de lit », pensant qu’après tout elle était trop fatiguée pour bouger ! Puis, le temps passant doucement mais assez vite pour qu’elle reprenne ses esprits, elle se tourna sur son coude pour demander à Dominique de ne pas trop se coller à elle. Elle avait horreur de cela ! Elle poussa un cri strident lorsqu’elle aperçut André à ses côtés… Elle se leva d’un bond et tout lui revint en mémoire, d’un seul coup !

« André ? Mais, mais… Que se passe-t-il ? Ce n’est pas possible ! André, tu m’entends ? Que fais-tu là ? Que faisons-nous là ? Ce n’est pas vrai ! C’est impossible !

-      Tout doux, ma belle, ne crie pas ainsi… C’est moi, André…

-      Ahhh ! Non, pas ça, pas ça… Que s’est-il passé ? Que fais-tu dans mon lit ? Mon Dieu, ne me dis pas que…

-      Que ? Mais oui, ma belle, je te dis que… D’ailleurs, tu étais partante, tout à l’heure, quand…

-      Partante ? Partante pour quoi ? Ne me dis pas que…

-      Que …

-      Que tu m’as touché… Que tu m’as… Non, dis-moi que je rêve, que je suis folle !

-      Mais non, ma Chérie, tu n’es pas folle…

-      Ta Chérie ! Oh, non, pas ça…

-      Tu sais, quand nous avons « commencé », tu ne parlais pas ainsi. Tu avais l’air radieuse, éperdue. Tu voulais faire l’amour, ce que nous avons fait !

-      Salaud ! Salaud ! Tu es un monstre ! Tu as profité de moi parce que j’étais saoule !

-      Allons, pas de grands mots… Tu n’étais pas saoule, pas plus que moi. Nous avons un peu bu, c’est vrai, et quand je t’ai senti si fragile et si désirable à la fois, j’ai fait ce que j’ai cru bon de f…

-      Que tu as cru bon ? Salaud ! Je te hais, je te hais… Tu m’as salie…

-      Ecoute, calme-toi et reviens à des idées plus claires, à des choses plus dans la norme. Quand tu as compris que Dominique avait une liaison, tu n’as pas hésité une seconde à…

-      Une liaison ? Dominique ? Mais quand l’ai-je su ? Qui m’a raconté une telle horreur, un tel mensonge ? Je l’aime, moi, Dominique… Je ne l’aurais jamais trompé, même s’il avait une liaison…

-      Même avec Françoise ?

-      Tu me dégôu…

-      Chut, pas de paroles définitives !

 

Elisabeth s’affaissa sur une chaise et se mit à sangloter. André en profita pour sortir du lit, se glisser dans son pantalon, et s’approcha d’Elisabeth, effondrée et recroquevillée sur elle-même. Il s’approcha prudemment et la prit par les deux mains, agenouillé devant elle.

« Allons, pleure, pleure un bon coup. Cela te fera du bien…

-      Pourquoi ? – lui dit-elle sans le regarder – Pourquoi ?...

 Elle ne chercha pas à fuir les mains qui lui tenaient les poignets. Elle était si lasse que peu lui importait, au fond ce qui pouvait lui arriver maintenant. Elle ne réfléchissait plus, elle était prête à tout, à mourir s’il le fallait. André se releva, tout en la redressant aussi. Quand ils furent debout, face à face, il la serra contre lui. Puis, avec une douceur d’ange, il posa sur le lit, et s'allongea sur elle…

 

Chant V

Premier couplet

Bientôt midi ! Dominique prit son téléphone, posé sur son bureau, et fit le numéro d’appel de Françoise… La douce voix de la jeune femme lui ravit l’oreille lorsqu’elle demanda :

 

« Oui ? Qui demandez-vous ?

-      Bonjour – fit Dominique en changeant sa voix – Je  désirerais parler à Madame Françoise Grazzioli, s’il vous plaît…

-      Oui, de la part de… ?

-      De quelqu’un qui aimerait l’inviter à déjeuner !

-      Dominique, c’est vous ? Quel sacré farceur vous faites !

-      Alors ? Vous êtes d’accord ?

-      Oui, bien entendu !

-      Même heure même place que l’autre fois ?

-      Cela me convient… à tout à l’heure ! »

 

Et, comme convenu, Françoise et Dominique se retrouvèrent au même restaurant que le « fameux » mardi… Ils étaient là comme s’ils avaient fait cela depuis très longtemps. Habitude déjà prise, Dominique commanda un apéritif que Françoise accepta de bon cœur.

 

«  Alors – fit-elle – de quoi parlons-nous aujourd’hui ?

-      De vous… ?

-      Ah, non ! Pas encore de moi !

-      Mais c’est exactement ce qui m’intéresse…

-      Et le tennis ? Cela vous intéresses-t-il ? Ce soir, je sais que vous serez là, avec André.

-      Oui, il me l’a demandé il y a quelques jours.

-      Et vous y allez ?

-      Ben oui, je crois…

-      Vous croyez ou vous en êtes sûr ?

-      Mais, c’est une enquête de Police que vous menez là !

-      Eh bien, c’est pour arriver à vous dire que je n’y serai pas ! »

 

Dominique faillit s’étouffer avec sa gorgée de vin cuit.

 

« Ah, non, ne me faîtes pas ça !

-      Tout d’abord, voulez-vous que nous arrêtions ce vouvoiement qui nous met à bonne distance l’un de l’autre ?

-      Oui, je ne demande pas mieux… Mais, pour quelle raison ne viendriez, ne viendrais-tu pas ce soir ?

-      J’ai tant à faire à la maison ! J’ai des montagnes de calculs à revoir, et je voudrais que cela soit fait pour une réunion très importante, demain après-midi…

-      Allons, ne me fais pas ça… S’il te plaît ! Ne peux-tu remettre ces calculs à plus tard ?

-      Bon, écoutes-moi bien. Je vais faire un effort. Je viendrai jouer, mais ne partirai pas au-delà de vingt-deux heures ! Cela te convient-il ?

-      Oh, oui… Cela me convient tout à fait.. ; »

 

Le repas se déroula ainsi, de questions en réponses, sur des thèmes pris au hasard, mais qui, curieusement, répondaient à des critères que tous deux affectionnaient ! Ils se quittèrent, cette fois encore, avec une chaleureuse, très chaleureuse poignée de mais… Dominique eût du mal, d’ailleurs, à lâcher celle de Françoise.

 

Chant V

Deuxième couplet

La soirée s’annonçait bien pour Dominique. Il n’avait pas vu André de la journée. Mais certain que celui-ci avait dû perdre beaucoup de temps avec ses clients, il n’imagina même pas qu’il puisse ne pas être au rendez-vous fixé ! Sa journée de travail terminée, il passa un coup de téléphone à Elisabeth, depuis son portable, assis dans sa voiture et prêt à démarrer pour se rendre au Club de Tennis.

« Allo ! Chérie ?

-      Oui, - répondit Elisabeth, avec une voix d’outre-tombe.

-      Comment vas-tu ? Tu n’as pas ta voix habituelle…

-      Mais si… J’ai la même voix que les autres jours, je t’assure !

-      Bon, n’as-tu pas pris froid ? Es-tu sortie ? Etais-tu assez couverte lorsque tu es allée chercher Gérard ?  

 

 

Dominique, lui, continuait son petit train-train de vie. Il avait fini par comprendre que Françoise n’était pas une femme qu’il « désirait », mais que c’était surtout sa compagnie qui le motivait ! Ils en conclure d’ailleurs tous deux, lors de leurs fréquentes discussions « à bâton rompu », qu’ils avaient été faits pour se rencontrer, un peu comme la fameuse théorie des « âmes-sœurs » ! Leur finalité partagée était l’amitié… Un peu comme s’ils étaient frère et sœur.  Donc rien de répréhensible, au total ? Quoique les mentalités actuelles ne leur autorisaient pas ce type de relation ! Qui peut croire qu’un homme et une femme soit amis ? Si l’on jette cela en pâture à la gent commune, elle répondra « Mensonge, Dissimulations ! » Et pourtant… Françoise et Dominique devinrent les meilleurs amis du Monde ! Chacun ne voyait en l’autre un homme ou une femme. Quand ils pensaient l’un à l’autre, c’était Mon Ami, ou mon Amie !

 

à suivre...

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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 10:55

Les Chants mêlés

de P.F.J.

 

Chant I

Premier Couplet

 … Les derniers jours du Printemps fuyaient déjà sous les chaleurs de l’été tout proche. La Nature éclatait sous la poussée millénaire des sèves nouvelles. Une profusion de boutons et de fleurs aux senteurs fraîches, maculait toute chose, dans les pépiements d’oiseaux dont les théories aériennes zébraient le ciel toulousain, en arabesques fugitives et presque irréelles.

 

Dominique était accoudé au balcon de son petit appartement. Il écoutait, avec un plaisir sans égal, le long écoulement du temps, ce temps qui le séparait encore des vacances. Deux moineaux vinrent s’ébattre devant lui, dans les ramures d’un tilleul. Il sursauta, tiré de sa rêverie par les ébats amoureux des petites créatures. Il sourit à les voir faire… Il eut un fugace sentiment de jalousie à leur endroit, lui qui ne pouvait s’envoler, comme eux, voir de haut à quoi pouvait ressembler le Monde. Instinctivement, il sortit une cigarette du paquet qu’il tenait à la main, et l’alluma en lançant son briquet. Les deux moineaux s’enfuirent alors, et Dominique les suivit longtemps des yeux, jusque dans l’arbre voisin.

 

Une voix, dans son dos, le ramena vers une réalité qu’il avait un instant déserté. Elisabeth, son épouse, lui rappelait qu’il commençait à se faire tard, et qu’il aurait à se lever tôt, le lendemain. Le soleil venait à peine de se coucher, et Dominique serait bien resté un petit moment encore, le nez en l’air, projetant ses pensées les plus intimes au-delà de son propre univers, quotidien et monotone. Il pensa qu’il aurait pu confier ses rêves aux oiseaux, afin qu’ils se réalisent peut-être sous d’autres cieux !

 

C’était sa dernière semaine de travail. Ensuite, Elisabeth, Gérard leur fils et lui-même prendraient des congés bien mérités, loin de la foule et du bruit. Cette année, ils avaient projeté de partir en Bretagne. Si l’été pouvait être aussi beau que le Printemps l’avait été, ce serait magnifique. Mais allez donc savoir le temps qu’il peut faire en Pays breton, un mois de Juillet. A priori, il pouvait être convenable, même si peu chaud. Dominique y avait séjourné souvent, et rarement il avait subi une pluie permanente ! Cela, c’était une légende… de son point de vue. On verrait bien. De toute façon, tout était décidé et organisé. Ils avaient retenu une petite villa en bord de mer, à Bénodet… On lui avait dit tant de merveilles sur l’endroit, qu’il lui semblait presque y être déjà allé !

Comme à regret, il recula pour rabattre sur lui les volets et battants de la fenêtre. Ecrasant son mégot dans un pot de fleurs, manie dont Elisabeth avait une « sainte horreur », Dominique se dirigea vers la chambre à coucher où il commença à se dévêtir. Nu comme au premier jour de sa vie, il entra dans son lit et se recroquevilla, tournant ainsi le dos à son épouse.

« Tu dors déjà ! Sans même me dire Bonsoir ?

-              Non, non, je ne dors pas, je réfléchis…

-              Tu réfléchis à quoi, chéri ?

-              Bof, je me disais que s’il n’y avait pas les vacances, la vie ne serait terriblement excitante !

-              Voilà des banalités auxquelles tu ne m’avais pas habituée… As-tu un problème ? Veux-tu que nous en parlions ? »

 

Dominique ne répondis pas. Se tournant sur un coude, il déposa un léger baiser sur les lèvres d’Elisabeth, lui murmurant un « Bonne nuit » que lui-même eût du mal à entendre…

 

Chant I

Deuxième Couplet

A quoi bon discuter de son vague à l’âme ? Sans doute lui-même n’en connaissait-il pas la cause. Il en va de ces choses-là comme de ces maux mystérieux qu’on ne sait pas encore guérir. En fait, Dominique avait le sentiment qu’il manquait quelque chose à sa vie, mais quoi ? Il avait une femme, belle et intelligente, un fils, Gérard, né quelques années après leur mariage, et dont il ne pouvait qu’être fier. Et il l’était d’ailleurs ! Naturellement, il ne manquait de rien. Elisabeth et lui avaient tout acheté, juste avant la naissance de Gérard, dont ce douillet appartement dans le Centre-ville de Toulouse. Et, fait exceptionnel dans ce quartier-là, ils avaient une vue splendide sur un grand jardin public, ce que beaucoup de gens leur enviaient.

Elisabeth ne travaillait pas en dehors de chez elle. La petite entreprise, où Dominique occupait un rôle important, leur assurait une vie confortable, voire même « petite-bourgeoise » ! Il était Sous-directeur, en la Section Commerciale d’une PME de Chauffage central et Conditionnement d’air. Une entreprise dont la renommée commençait même à dépasser les frontières de la Région. Elle décrochait des marchés sur quasiment tout le territoire Français.

 

Dominique, qui n’avait pas eu le loisir de faire des études universitaires, était arrivé, comme on dit « à la force du poignée », à se faire une situation. Il était un peu la fierté de sa famille, modeste, de milieu ouvrier. Son Père avait été mineur à Carmaux, et coulait maintenant des jours heureux avec sa Mère, dans un petit pavillon qu’ils avaient acquis en banlieue. Ils vivaient « à la campagne » ainsi qu’ils aimaient le dire …  En réalité, il ne restait du cadre bucolique d’origine, que leur jardinet. Tout, alentour, n’était plus que lotissements uniformes ou futurs ensembles anonymes ! Ils y vivaient heureux, toutefois, et avaient un réel plaisir à recevoir hebdomadairement, le samedi, leur fils et sa petite famille.

C’était encore là un aspect de cette routine où Dominique et Elisabeth s’enlisaient, au fil des ans, des dix années de leur vie de couple. Elisabeth n’en souffrait pas. Du moins ne le laissait-elle pas paraître. Elle avait le don de fourvoyer ceux qui cherchaient à la mettre au jour. Non qu’elle eût une intelligence supérieure à la moyenne des autres femmes, mais simplement parce qu’elle était jalouse de sa vie privée et de ses Sentiments. On ne pouvait pas lire en elle comme dans un livre gracieusement ouvert à la curiosité générale… Elle avait l’impression, par cette disposition de caractère, d’être le rempart qui protégeait son ménage contre les malveillances ou les coups du sort ! Peut-être était-ce dû à une naïveté un peu puérile, conséquence du fait qu’elle était encore bien jeune lorsqu’elle rencontra Dominique ? Sans doute aussi, idéalisait-elle à l’excès les rapports qu’elle imaginait devoir exister au sein d’un couple…

 

Chant I

Troisième Couplet

 Mais n’était-ce pas sans compter sur les faiblesses humaines et l’instabilité permanente des élans et des affections, dans une vie moderne de plus en plus pernicieuse à l’égard des êtres, les rejetant dans leur coquille, cultivant chez eux l’égocentrisme le plus violent ? Elisabeth, elle, avait le sentiment de « se réaliser » ainsi… Sa petite vie simple lui suffisait. Elle élevait leur fils de façon quasi parfaite, s’il pouvait exister une perfection en ce domaine… Son intérieur, son coquet appartement était toujours impeccable, et on la complimentait sans cesse sur son goût, et la fraîcheur avec laquelle elle savait agencer son mobilier. Il ne passait pas un jour, où l’on ne vit un bouquet trôner sur la table du living. Telle une fée aux doigts magiques, elle faisait d’un rien une merveille ! On pouvait, à juste titre, se demander ce qui avait pu rapprocher deux êtres si différents que Dominique et Elisabeth.

 

Lui n’était pas à l’image de son épouse, loin de là ! Autant elle était secrète et méfiante, autant lui était prolixe de toutes les petites choses, qui faisaient de sa vie une espèce de scénario, de ces mauvais films dont on devine aisément la trame, tant de ficelles étant grosses et mal nouées… Il aimait à «se raconter», auprès de ses copains, de sa Mère, surtout. Il ne pouvait garder pour lui ses chocs sentimentaux ou les menus événements qui parsemaient son existence ; sans doute ce besoin de faire participer autrui, dénotait-il chez lui un manque de confiance en lui-même ? Il fallait qu’il reçoive un reflet « en retour » de sa vie ! Cela le rassurait, donnait à ladite vie une dimension supérieure, en la partageant avec le plus grand nombre…

Ainsi, plus nombreux étaient ceux qui étaient mis au courant, plus il atteignait cette dimension sociale ! S’il l’avait formulée, Sa théorie sur la Quatrième Dimension aurait été ainsi exprimée : « Hormis les trois dimensions tangibles, chez l’Homme comme dans tout l’Univers, la Quatrième, celle qui avait une durée mesurable est la Renommée » ! Dominique croyait dur comme fer que plus longtemps on se souvient des Disparus, plus ils ont marqué leur époque…

Malgré tout, et si l’on veut bien descendre à son niveau d’entendement, il y aurait une légère imperfection dans cet échafaudage onirique. Il semblait manquer à Dominique quelque chose d’essentiel, de profondément nécessaire à son équilibre, et qu’il n’entrevoyait pas, même confusément ! Quoique… petit à petit…

 

Chant I

Troisième Couplet

Cela devenait un sujet de préoccupation permanente, une obsession. Il prenait soudain conscience de lui-même et cherchait à se mieux connaître, voire "reconnaître". Il se rendait compte qu'il avait, jusque là, vécu "à côté" de ce qu'il pensait être réellement. Il lui fallait se redécouvrir afin de vivre et non plus d'exister, pour sortir de ce que lui-même nommait sa "médiocrité" ! C'était sa façon personnelle d'idéaliser. Il avait horreur de la médiocrité. Il vénérait les grands hommes, les savants, les philosophes, et aurait  ressemblé, être un des leurs. Mais peut-être s'y était-il mal pris, dès le départ de sa vie ?
Etait-il trop tard ? Il aurait la volonté nécessaire à extirper, du fond de son être, les ressources qu'il avait jusqu'alors négligées... ou méconnues. Et Elisabeth, dans ce scénario idyllique ? Elle aurait "sûrement" sa place, pensait-il !

 

 

Chant II

Premier Couplet

Ce matin-là, comme à accoutumée, Dominique arriva au bureau avec un petit quart d'heure d'avance sur le reste du personnel. Il aimait bien se sentir seul quelques instants, et voir les employés arriver, plutôt que d'être lui-même un centre d'attention en entrant là, alors que tous étaient déjà au travail. Certains voyaient d'un mauvais œil cette manie, et l'interprétaient comme une malveillante sournoiserie. Non, Dominique n'était pas de cette espèce d'individus. Lui, qui était parti de la base de la hiérarchie, se tenait à l'écart de ce genre de pratiques. Il savait, pour y être lui-même passé, ce que signifiait, pour les employés de l'entreprise, la bonne entente commune et le respect des chefs vis-à-vis de leurs subordonnés. Il y avait bien quelques jaloux qui lui enviaient cette aisance et ce contact franc et facile ! Il n'en avait cure. Même le Grand Patron, Monsieur Dujardin, s'étonnait de cette faculté, jusque là méconnue de lui, que possédait Dominique. Il l'avait pris en estime, et, du jour où il lui avait confié ce poste de responsabilité, il lui avait aussi offert son amitié. Depuis; ils se tutoyaient et s'appelaient par leurs prénoms respectifs, René et Dominique. Leurs rapports n'en étaient tout de même qu'à un niveau de respect et d'entente mutuels.
Le seul vrai "copain" de Dominique était un agent de fabrication, contremaître d'atelier, avec lequel, dès le début, il avait sympathisé. André était ainsi le seul vrai camarade de Dominique. Ils se voyaient souvent, en dehors du travail, pour bavarder, déjeuner ensemble ou faire une partie de tennis.

Dominique était déjà plongé dans ses dossiers lorsque Monsieur Dujardin toqua à la porte vitrée de son bureau :

"Entre, André, fit Dominique, se levant et tendant une main franche dans sa direction.
- Bonjour Dominique ! Cela va-t-il comme tu le veux ? S’enquit René.

-      Oui, merci, et toi-même ?

-       Bien, bien... Dis-moi, trêve de banalités, il faut que nous fassions un point sérieux avant ton départ en vacances. Tu pars toujours vendredi ?

-       Oui, pas de changement au programme.

-      Bien. Peux-tu venir dans mon bureau avec les dossiers litigieux, ou préfères-tu que nous travaillons ici ?

-       Chez toi. Ce n'est pas bien encombrant... et si tu m'aides à les porter, on devrait pouvoir traverser la coursive sans trop de fatigue !

-      Parfait... Commençons-nous à travailler tous deux, ou faisons-noua un briefing

-      restreint avec les Chefs de Services ?

-      Je pense que nous en ferons plus à nous deux... Et puis, il y a des décisions urgentes à prendre, et toi seul...

-      Oui, je sais. Allons-y "La journée passa ainsi, augurant de ce qu'allait être la dernière semaine de l'année. Dominique eût-il tout juste le temps, à l'heure du déjeuner, de s'entendre inviter par André à disputer une dernière partie de tennis, en fin de journée. Ce qu'il accepta de bon cœur, car c'était toujours un moment privilégié pour lui que ces petits matchs avec André. Explication franche, une raquette à la main et l'esprit au repos, le corps tendu vers l'effort physique et la lutte avec soi-même...

Elisabeth lui avait fait les recommandations d'usage, lorsque Dominique lui avait suggéré qu'André l'inviterait probablement à jouer au tennis. "Ne rentre pas trop tard", "penses que nous devons préparer notre départ", etc... Le genre de choses qu'on a horreur d'entendre marteler à longueur d'années, et devraient être entendues une fois pour toutes. C'était en tout cas l'avis de Dominique...

Il retrouva André dans le vestiaire du Club...

André avait l’air de quelqu’un de disposé à pourfendre son adversaire ! Il faisait d’impressionnants moulinets avec sa raquette.

« N’as-tu rien remarqué, Dominique ? fit-il, en continuant à gesticuler, l’air mystérieux.

-              Oui, tu as une nouvelle raquette, répondit Dominique sans même lever les yeux.

-              Ben, toi alors ! Tu as un sacré coup d’œil ! Penses que je la laisse traîner depuis trois jours à la maison, et que personne ne l’a encore vue…

-              Est-ce que toi-même tu prêtes attention à ce que l’on essaie de te montrer ?

-              Oh, ça va… Monsieur le Curé ! Recommence pas tes prêchi – prêchât, et viens plutôt jouer… Dépêche-toi, je t’attends de pied ferme ! »

 

Trois sets plus tard, les deux amis étaient accoudés à une table de la buvette, sirotant un rafraîchissement à grands coups de paille, entrecoupés de halètements poussifs et bruyants.

 

«  On n’a plus vingt ans, hein ? lança André.

-              C’est toi qui le dis… Pour moi, cela va plutôt bien !

-              C’est ça ! Dis-moi aussi que tu aurais tenu un set de plus !

-              Faut voir…

-              Chiche ! On remet ça ? Je m’arrange avec le responsable, et on dégotte un court libre… On fait une revanche, OK ? »

 

Dominique ne répondit pas. Son attention venait d’être attirée par un couple qui terminait une partie, et s’installait à côté d’eux… André suivit son regard, et se leva d’un bond en interpellant les nouveaux venus :

 

« Bob, Françoise ! Quelle surprise. Venez donc vous installer à notre table, afin que je puisse vous présenter Dominique… « 

Tous trois se firent les politesses d’usage, et se rassirent sans mot dire.

« Eh bien, dit André, si j’avais su que vous étiez là, je vous aurais proposé un double semi-mixte ! On se serait marré… Vous savez, Dominique possède un redoutable revers gauche, doublé d’un coup droit hors paire ! C’est simple, il vient de me prendre trois sets à rien…

-N’ exagères pas, André. Tu vas me faire passer pour ce que je ne suis pas. En réalité, André n’était sans doute pas dans un bon jour », ajouta Dominique en regardant tour à tour Bob et Françoise.

Ceux-ci n’avaient pas encore pris la parole, et Dominique ressentit d’emblée une gêne inexplicable. Il en comprit la raison lorsqu’André les présenta plus en détails :

 

« Ah, je manque à mes devoirs les plus élémentaires. Robert, Bob pour ses amis, et Françoise sont de vieux habitués du Club. Je les ai connus avant que tu ne te décides à venir y jouer. Ils travaillent tous deux au CNES, à Rangueil. Bob est Chercheur, en Physique nucléaire, je crois, c’est cela, Bob ? Et Françoise est Maître-assistant en Faculté et Chercheuse à ses heures. Votre spécialité, déjà ? – fit-il à l’adresse de la jeune femme.

- La physique nucléaire, aussi ! – répondit-elle »

 

André s’étendit longuement sur leur première rencontre, et dérapa sur des sujets plus scabreux dont Bob et lui devinrent vite les principaux dialoguistes. Dominique et Françoise, qui donnait l’impression de s’amuser des mimiques d’André, ne faisaient plus qu’écouter, sans vraiment s’intéresser à la joute oratoire. Dominique tentait d’observer Françoise à la dérobée. Cette femme provoquait soudain en lui un intérêt étrange. Elle était jeune, la trentaine environ, belle et mystérieuse, d’une beauté mystérieuse plutôt, qui n’apparaissait qu’en détaillant attentivement son visage.

 

Dominique avait toujours eu un faible pour les longs cheveux bruns, et ceux de Françoise étaient précisément de ceux-là ! D’autant qu’elle venait d’ôter son bandeau, et laissait sa chevelure flotter au gré du vent, comme pour mieux se rafraîchir de l’air ambiant poussé par une douce petite brise. Elle s’aperçut qu’elle était l’objet de cette analyse visuelle, et sourit à Dominique d’un air entendu… Malgré lui, ses yeux se portèrent sur les mains de la jeune femme, et y accrochèrent une alliance. Un fugace sentiment de déception passa dans l’esprit de Dominique, comme un nuage d’été, vite balayé par la raison. Il se demanda, avant de ne plus y penser, pourquoi la vue de cette anneau lui avait causé cet effet !

 

Chant II

Deuxième couplet

« Allez-y, mon vieux – fit Robert – Raccompagnez-la ! Mais je vous plains plus que je ne vous envie, C’est une bavarde de la pire espèce… Dans le fond, tu ne m’en veux pas, Françoise ? Cela m’arrange, dans un sens. Je crois que je vais en profiter pour aller faire un petit tour ailleurs ! »

 

Le regard de connivence, chargé de sous-entendu, échangé entre Bob et Françoise, qui sourit en réponse, rassura tout à fait Dominique sur les craintes qu’il fondait prématurément. Dans le fond, il semblait qu’il avait affaire là à deux personnages à l’unisson, qui se comprenaient sans avoir à échanger beaucoup de mots.

Il se sentit soudain libéré et heureux d’avoir à raccompagner Françoise. Une espèce de petite fierté s’empara de lui, qu’il réprima aussitôt.

 

« Bon ! Nous partons ? – questionna-t-il.

-      Allons-y ! – répondirent en cœur les trois autres – Le temps de prendre une douche…  - ajouta Bob.

Françoise s’installa sans mot dire à côté de Dominique, qui ne sut, à brûle-pourpoint, quel sujet de conversation aborder. Lançant le moteur de sa Renault, il toussota pour s’éclaircir la voix, et démarra enfin, en enclenchant le premier rapport.

 

« Ainsi donc, nous étions voisins et ne le savions pas ?

-      C’est ce qui a l’air d’être, je crois –répondit-elle en souriant – Et puis ne nous connaissant pas, comment aurions-nous pu ?

Dominique se mordit les lèvres. Ce n’était pas une très belle entrée en matière… Quel imbécile il faisait ! De quoi avait-il l’air, maintenant ? D’un niais, incapable d’attaquer une conversation convenable, avec des mots essentiels… Il se rendit compte qu’il faisait sans doute un complexe d’infériorité. Elle était de ces gens au bagage intellectuel considérable, qui effrayaient tant Dominique. Et pourtant, à la bien regarder, elle paraissait une femme comme les autres… Mieux que bien d’autres, s’avoua-t-il.

 

« Vous êtes donc mariée ? » – osa-t-il.

 

Aïe, deuxième gaffe… décidément, il s’en tirait très mal !

 

« Oui, à un écrivain. 

-      Un écrivain ! – fit Dominique qui se sentit encore plus ridicule.

-      Oui, et que vous connaissez sûrement… mais dont je tairai le nom. Il écrit sous un pseudonyme. Son véritable patronyme est Georges Grazioli. Et, comme vous pouvez le deviner, il est d’origine italienne. Ne me demandez pas son nom d’auteur. Je n’ai pas le droit de le révéler. Vous savez, ces « gens-là » ont leurs manies, et il ne faut pas y toucher ! »

 

Dominique nota la façon dont Françoise avait associé son mari à « ces gens-là », mais n’en tira pas de conclusion trop hâtive.

 

« Vous jouez souvent au Club ? – s’enquit-il

-      Oui, tous les mardis, mais je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, me semble-t-il !

-      Oui, c’est vrai… suis-je bête. Mais vous avez une mémoire… »

 

Il se sentit sombrer dans les affres du ridicule. Il savait très bien, et le comprit sur le champ, qu’elle n’avait pas lancé cette information au hasard, tout à l’heure.

 

« Mon Dieu, non ! Il n’y a pas dix minutes, je vous l’ai dit, lorsque nous avons parlé de Bob et du fait qu’il m’amenait au Club tous les mardis… Dites-moi, Dominique, puis-je vous parler franchement ? »

 

Chant II

Troisième couplet

Dominique sentit le plancher de la voiture se dérober sous ses pieds.

 

« Oui, bien entendu !

-      Etes-vous timide, ou est-ce moi qui vous mets mal à l’aise ?

-      A vrai dire – Dominique se sentit rougir comme un adolescent – euh, je n’ai pas tous les soirs l’occasion de discuter avec une aussi jolie… une femme comme vous… »

 

Là, ça y était, il était le clown du spectacle ! Il aurait de loin préféré être à cent lieues de là. En plus de cela, Françoise fut prise d’un fou-rire à en faire pleurer tout un monastère ! Dès qu’elle put se calmer et se « reprendre en mains », elle s’aperçut qu’elle avait communiqué son hilarité à Dominique qui, ravi de l’aubaine, y déchargeait tout son mal-ressenti et y puisait des ressources pour rétablir la situation.

 

«  Cela fait du bien de rire – commença-t-il – surtout avec un benêt comme moi ! Suis-je stupide ! Après tout, c’est vrai, il ne devrait pas y avoir de difficulté, pour un homme, de dire à une femme qu’il la trouve belle et qu’il en est troublé ! Je suis troublé. Vous me troublez. Vous devez me trouver complètement idiot ?

-      Pas du tout, au contraire ! Il est si rare de rencontrer des gens aussi candides que vous l’êtes ! Ne vous vexez surtout pas. C’est un compliment que je vous fais là… Vous a-t-on jamais dit que vous aussi étiez un homme séduisant ? Vous êtes marié, vous aussi, je crois ?!

-      Oui, Elisabeth et moi le sommes depuis plus de dix ans. Et vous ?

-      Douze… depuis peu. Mais je crois que nous arrivons !

 

Dominique avait conduit machinalement, et se rendit compte qu’effectivement ils avaient atteint le Centre-ville de Toulouse. La circulation redevenait fluide sur la Place du Capitole, à cette heure-là. Relativement tardive car il n’était pas plus de vingt heures trente.

Sur les indications de Françoise, il s’engagea dans plusieurs rues et ruelles successives, jusqu’au moment où elle lui demanda de s’arrêter.

 

«  Voilà ! J’habite ici… Je suis désolée que le voyage ait été si court. Je vous remercie et vous dit à mardi prochain, peut-être ?

-      Non, hélas… Mardi prochain, je serai loin d’ici !

-      Vous partez ?

-      En vacances, en Bretagne. Près de Bénodet très précisément.

-      Je connais cet endroit, pour y être allée moi-même il y a quelques années. C’était d’ailleurs l’année de cette fameuse sécheresse, vous vous en souvenez ? C’était très inhabituel, pour les Bretons, d’avoir leurs pâturages plus jaunes que verts !

-      Oui, je m’en souviens très bien… Ne pouvons-nous nous revoir avant mon départ ?

-      Vous semblez plus hardi que tout à l’heure, jeune homme ! Mais, pourquoi pas ?...

-      Déjeunons ensemble demain midi ?

-      Oui, cela me va… Vers Midi !

-      Où ?

-      Où cela vous conviendra, je vous laisse le choix des armes ! »

 

Un ange passa…

 

 

Ils convinrent d’un petit restaurant que Françoise connaissait, et se séparèrent sur une poignée de mains interminable…

Dominique était tout guilleret lorsqu’il rangea sa voiture au garage et escalada les degrés menant chez lui, comme s’il ne touchait pas les marches !

Elisabeth était assise devant le téléviseur lorsqu’il entra…

 

« Bonsoir – lança-t-il e, s’approchant, décontracté.

-      Bonsoir ! – répondit Elisabeth en tournant la tête vers lui – Tu as l’air bien gai ?!

-      Oh, nous avons fait un match fantastique !

-      Qui a gagné ?

-      Cette question ! Moi, bien entendu…

-      Oui… bien entendu…

-      Gérard dort déjà ?

-      Oui, il n’a pas pu t’attendre, il tombait de sommeil… Moi aussi, d’ailleurs.

-      Pourquoi n’es-tu pas allée te coucher ?

-      Bof, je ne sais pas. J’avais peut-être envie de savoir de combien tu dépasserais ton retard coutumier !

-      Ah, bon, parce que maintenant tu contrôles mes horaires ? – fit brusquement Dominique, agressif.

-      Non, mais tu rentres plus tard que d’habitude ! Pourquoi ce ton agressif ? Tu trouves déplacé que je te fasse cette remarque ?

-      Non, non… Excuse-moi. Je dois être plus fatigué qu’il n’y paraît. »

 

La conversation s’en tint là, laissant en Dominique une impression de malaise profond qui l’empêcha de s’endormir avant le petit-matin…

 

Chant II

Quatrième couplet

Dominique n’attendit pas longtemps pour rappeler à Françoise leur déjeuner… Françoise fut précise quand à l’heure du rendez-vous. Dominique la retrouva à midi pile dans le petit établissement, en plein Centre-ville de Toulouse.  Ils s’installèrent à une table un peu retirée, et commandèrent un repas, sans toutefois trop s’attarder à choisir avec précision ce qu’ils allaient manger… Pour Dominique, l’important était de se trouver là, en face de Françoise. Elle-même semblait ravie de ce tête-à-tête.

 

Levant son verre devant lui, Dominique proposa un toast à leur rencontre, ce que Françoise accepta amusée…

 

« Parlez-moi un peu de vous, Dominique. Il me semble qu’hier c’est surtout l’inverse qui s’est produit ?

C’est vrai – commença Dominique – c’est surtout l’inverse, mais peut-être André vous a-t-il déjà dit beaucoup de choses sur moi ?...

Non, jamais ! Vous voyez, je ne connais André que depuis que nous jouons ensemble. Nos conversations se limitent à pas grand-chose, sur un court de tennis…

Oui, bien entendu… Mais que voudriez-vous savoir de moi ?

Je ne sais pas… Tout ! Enfin, tout ce que vous voudrez bien me confier.

Bon ! Alors, je m’appelle Dominique, j’ai trente ans, marié, père de famille…

C’est un curriculum vitae que vous me débitez là !

Il faut bien commencer par quelque chose…

Parlez-moi de ce que vous êtes, et non de qui vous êtes…

-      Un modeste employé qui…

-      Sous-directeur, vous appelez cela « modeste » !

-      C’est une question d’échelle ! Dans une plus grosse entreprise, je serais peut-être balayeur, technicien de surface comme on dit de nos jours !

-      Vous n’êtes pas sérieux… Bon, ensuite ?

-      Ensuite ? Je crois que cela va être très difficile. Si nous buvions un peu, avant ? L’alcool délie les langues… »

 

Le repas se poursuivit par une espèce de jeu du chat et de la souris, où chacun essayait d’amener l’autre à parler de lui. Françoise, autant que put en savoir Dominique au bout de quelques instants, était une femme totalement « libérée »… C’est-à-dire que Georges et elle avaient établi entre eux des rapports d’indépendance qui laissèrent Dominique pantois.

 

-      « L’amour et la vie sont-ils encore possible entre vous ? – osa-t-il.

-      Mon Dieu, oui ! Vous savez dans la mesure où deux êtres s’estiment et se respectent profondément, tout est possible entre eux ! Je vais vous dire une chose que vous n’allez peut-être pas croire. Georges et moi n’avons jamais eu d’aventure extraconjugale…      

-      Comment pouvez-vous en être certaine ? En ce qui vous concerne, fort bien, mais pour Georges !

 -      Je viens de vous le dire. Tout est une question de confiance réciproque.

 -      Vous sortez quand et avec qui vous voulez… Lui, en fait de même… et pour un homme, les « occasions » ne manquent pas !

 -      Vous me décevez un peu Dominique. Vous êtes bien comme les autres hommes ! Pensez-vous réellement qu’une rencontre, quelle qu’elle soit, doive toujours finir dans un lit ?

 -      Ben… - fit Dominique, coincé et se demandant où il allait.

 -      Croyez-vous, par exemple, que parce que nous déjeunons tous deux, nous allons forcément faire l’amour tout de suite après, ou plus tard ?

 -      Non, évidemment ! Ne vous méprenez pas sur mes intentions… Je ne vous ai pas invitée pour parvenir à je ne sais quel dessein sordide – Dominique savaient les choses très mal engagées.

 -      Je ne vous donnais qu’un exemple. Ne vous formalisez pas. J’ai la nette impression que je peux vous faire confiance. Vous ne semblez d’ailleurs pas ressembler à ces « autres » hommes dont je parlais…

 -      C’est me faire bien des honneurs. Je ne suis pas un Saint ! J’ai eu, moi aussi, mes petites faiblesses passagères…

 -      Des « maîtresses ?

 -      Une, une seul fois. Mais c’est fini depuis fort longtemps !

 -      Je ne vous demande pas de précisions. D’ailleurs, je m’en veux de vous avoir posé la question. Cela ne me regarde pas. »

 

Tous deux échangèrent ensuite leurs idées sur des sujets les plus divers et banals,

de ces conversations anodines où l’on découvre, plus ou moins, chez l’interlocuteur, des

goûts ou des besoins identiques ou parfaitement contraires ! En ce qui les concernait,

Françoise et Dominique se rendait bien compte, au fil des mots et du temps qui

passaient,  qu’ils avaient, en fait, une multitude d’idées communes et complémentaires.

Leurs goûts et leurs besoins s’affirmaient comme étant fréquemment les mêmes… Cela

les enchantait, et Dominique admit que c’était la première fois de sa vie qu’il avait

rencontré quelqu’un avec qui il partageait tant de choses !

Ils se séparèrent enfin, se promettant de se revoir dès le retour de Dominique.

Françoise avait déjà pris ses congés le mois précédent. Dominique eut le fugace

sentiment que ses vacances en Bretagne allaient lui paraître très longues…

 

La semaine s’acheva, comme elle avait commencée, en un train-train que Dominique

supportait de plus en plus mal. Ce départ était une excellente façon de rompre avec

le quotidien. Elisabeth exultait. Elle aussi avait envie d’autre chose que ce que les

onze mois passés lui avaient apporté de monotonie et de « déjà vu »… Elle semblait

avoir oublié la petite altercation du mardi soir précédent, et Dominique n’y pensait

plus lui-même. Ils avaient été tous deux très affairés aux préparatifs du départ, et

n’avaient pas vraiment eu le temps de partager de longues conversations. Quoi qu’il en

fût, ils partirent très tôt, le samedi au petit matin, alors que la ville s’éveillait à peine

aux premières lueurs de l’aube.

 

 

à suivre...

 

Signature 4

 

 

 

 

 

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25 janvier 2010 1 25 /01 /janvier /2010 07:28

Les Chants mêlés 32

Chant IX

Premier et dernier couplet

Dominique, au volant de son véhicule, roulait droit devant lui, sans trop savoir où il allait. Sa tête lui semblait prête à exploser, tant les idées s’y bousculaient. C’était un tourbillon de questions, de remises en question, de suppositions, de remords et de regrets tout à la fois… Il s’arrêta, au bout d’un long moment d’errance, et gara sa voiture près de la Gare Matabiau. Là, même en pleine nuit, il savait pouvoir trouver un bar où il pourrait s’asseoir à une table et se « poser » pour y voir plus clair en ses pensées. Effectivement, le petit bistrot était encore ouvert. Il s’assit et commanda un whisky. Le serveur lui répondit qu’à cette heure-là il ne pouvait plus lui servir un alcool… Dépité, Dominique commanda un café, « bien serré »…

Et il but lentement son breuvage, et il réfléchissait et ses pensées montait vers le plafond du bistrot en même temps que la vapeur du café s’élevait au-dessus de sa tasse.

« Mais, bonté divine ! Qu’allait-il se passer maintenant ? Qu’allait-il dire à Elisabeth ? Comment cette femme avait-elle pu le tromper ainsi ? Et ce salaud d’André ? Il l’avait viré de la Société, en une seule et définitive parole. De toute façon, il n’y retournerait pour rien au monde ! C’était fini. André n’avait qu’à « aller se faire voir »… Le problème présent était de se retrouver en face de sa femme. Il lui annoncerait son intention de la quitter. Rien de moins ne pouvait être envisagé… Lui qui n’avait jamais été infidèle. Oh, il y avait bien eu quelques « flirts » anodins avec certaines de ses collègues. Mais rien qui n’ait jamais débouché sur une liaison. Il aimait trop Elisabeth et se sentait si bien en sa compagnie, à partager le quotidien et cette vie finalement agréable. Même si l’ennui était parvenu à s’installer dans leur foyer, après des années de routines et de non-dits. Et puis, il y avait Gérard, leur beau petit garçon si sage et si gentil. Son éducation était un plaisir partagé entre ses deux parents. Quelle serait la réaction de Gérard, s’il apprenait que ses parents se séparent… Serait-il malheureux… Mais tant d’autres enfants vivaient cela et « n’en mouraient pas », comme on dit ! Lui, Dominique, ne pourrait plus vivre auprès d’une femme qui l’avait ainsi bafoué. Non, il faudra se résoudre à divorcer. Cette vie ne serait plus possible. Il n’arrivait pas à évacuer des images d’Elisabeth au lit avec André ! Deux tristes individus dans des attitudes honteuses et déplacées. Après avoir ingurgité plusieurs cafés, Dominique, nullement abattu par le sommeil mais saoulé par ses sentiments tumultueux et l’excitation qui le rongeait,  parvint à prendre la décision de se lever et de partir, au-devant de ce qu’il ignorait encore, explication avec Elisabeth, ou fuite droit devant ses tourments !

Il remit sa voiture en route et roula ainsi, très lentement dans la nuit tombée de Toulouse.  Il avait pris le temps, en buvant, d’écrire quelques mots sur une feuille de papier demandée au serveur du bistrot. Mais il l’avait laissée, « oubliée » sur la table à laquelle il était assis.

Le serveur, en débarrassant les tasses vides, prit négligemment la feuille et s’apprêtait à la jeter, quand son attention fut interpellée, par le fait que ce petit texte semblait destiné à tout autre chose que finir dans une corbeille. Un peu comme un éclair d’extra-lucidité provoqué par l’incongruité de ce petit bout de papier, laissé là par un hasard qui n’en était sans doute pas un. Cela disait :

Pianiste.jpg

« Elisabeth, j’écris cela car je suis désespéré. J’ai appris ce qui s’était passé entre André et toi. Cela m’est insupportable. Ce soir, je n’ai même plus envie de vivre. Je ne sais ce que sera ma vie, après cela. Je n’ai même pas le courage de revenir chez nous. Je n’aurais plus de goût à reprendre ce train-train qui s’était installé dans notre vie. Sans doute suis-je aussi fautif de cela. J’ai toujours pensé que les problèmes d’un couple n’étaient jamais unilatéraux. Chacun porte sa responsabilité des conditions d’une vie commune. Lorsque l’amour est là, il faut savoir le « faire vivre », chaque jour, dans tous nos actes. Je sais, par expérience, que chacun porte « sa » responsabilité… L’Amour est un sentiment qui peut s’user et périr dans l’ennui et la routine. Peut-être n’ai-je pas été assez vigilant. Peut-être ai-je cru « acquis » le fait que tu m’aimais. J’ai pourtant eu l’impression d’être présent, à chacun de tes désirs, de tes soucis, de tes envies. Mais sans doute sans conscience réelle de ce que cela supposait d'investissement personnel, de sentiments et de vérité. Si tu en es arrivée à me tromper, c’est que quelque chose d’irréparable est survenu, à mon, à notre insu. Françoise en a peut-être été le prétexte. Elle a été le déclencheur, malgré elle, alors que pour moi, elle a été une amie, comme une sœur. Je ne la reverrai pas, comme je ne reverrai plus Gérard ni toi. Ni personne d’autre, d’ailleurs. Je serai pour vous une de ces milliers de personnes qui « disparaissent » sans cesse, sur la Terre. Je crois que c’est là la meilleure solution pour nous tous. Ne me cherchez pas. Vivez heureux et en paix. Sois pour Gérard la Maman qu’il a toujours apprécié et aimé. Je te le confie…Toi et moi avons certes « manqué » la fin de notre union, mais il m’apparaît évident que nous nous sommes vraiment aimés, dès le début de notre rencontre. Nous chantions la même chanson d’Amour. L’unisson a failli, et nos deux cœurs n’ont plus chanté le même air. Nos chants sont alors devenus des Chants mêlés. »

FIN

P.F.J.

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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 14:41

Les Chants mêlés 31

Pendant ce temps, où Dominique « réfléchissait » dans sa cellule de garde à vue, les heures passaient, et Bob, Françoise et Elisabeth avaient fini par convenir d’un accord… Elisabeth ne bougerait pas de chez elle et resterait en la compagnie de Françoise. Bob les quitta donc vers une heure déjà bien avancée de la soirée, et fit promettre à Elisabeth de faire confiance à Françoise en attendant le retour de Dominique…Et que lui, Bob, serait averti de ce retour afin de revenir discuter avec ledit Dominique.

Au Commissariat, Dominique fut surpris, en pleurs, par un officier de police qui ouvrit la cellule :

« Monsieur ? Voulez-vous me suivre s’il vous plaît ?

-         Ah ? - répondit Dominique – Vous allez enfin me relâcher !

-         Non, Monsieur, nous allons vous interroger !

-         Encore ! Mais, puisque je vous dis que je n’ai rien à faire ici !

-         C’est ce que veut savoir le Substitut du Procureur… Il vous accorde la faveur de vouloir bien vous expliquer en sa présence… »

Dominique suivit l’officier qui le ramena dans la pièce où il avait été précédemment interrogé.

« Asseyez-vous, Monsieur ! – lui intima l’homme qui se tenait là…

-         Vous êtes le « fameux » Substitut ?

-         Substitut suffira. Monsieur et j’ai quelques questions à vous poser ! Profitez-en car il est peu fréquent que la procédure soit ainsi établie. C’est bien parce que le Commissariat est sur mon chemin que je suis là ce soir ! Sinon, vous auriez attendu demain matin… Alors, Monsieur, parlez-moi de ce qui vous a pris de conduire votre véhicule en plein Centre-ville comme un « cinglé » ? Croyez-vous qu’à Toulouse on est sur un terrain de chasse ou de safari ? Je vous écoute… »

Dominique, pressé d’en finir, conta ses déconvenues par le menu, n’omettant rien, sauf le coup de poing asséné au visage d’André !

« Ainsi, parce que vous êtes au plus mal avec votre épouse, vous traversez la ville comme ces « jeunes fadas » qui font des « rodéos » ? Mon bon Monsieur, vous voyez ces Messieurs qui sont là pour vous ce soir, officiers et représentants de la Police Nationale ? Eh bien, je suis prêt à parier que l’un ou l’autre a peut-être, ou a eu une mésaventure semblable à la vôtre ! Agissent-ils pour autant comme vous ? »

La discussion, même si elle fut surtout un interminable monologue du Substitut, dura longtemps, trop longtemps au goût de Dominique. Au bout de plusieurs heures, il s’entendit enfin dire que, « bon, pour cette fois ça ira », et qu'il s’en sortirait avec une grosse amende, et un retrait de son permis de conduire de plusieurs semaines… Dominique put négocier qu’il reparte avec sa voiture, la suspension de son permis n’intervenant que le lendemain matin…

Sitôt libéré, Dominique monta dans sa voiture et démarra comme un fou furieux, faisant crisser ses pneus devant le Commissariat-même !

 Dominique-voiture.jpg


Chant VIII
Troisième couplet

 Françoise et Elisabeth, comme deux vieilles amies qui se retrouvaient après des années de silence, discutaient encore, lorsqu’Elisabeth remarqua l’heure tardive qu’il était :


Poezienen-10.jpgPoezienen 17


« Mais, il se fait tard ! Pourquoi Dominique n’est-il pas encore rentré ? Vous vous rendez compte ? Où peut-il bien être ?

- Pas avec moi, en tout cas ! – fit remarquer Françoise en riant très fort...

-         Bon, oui, je vous l’accorde, mais n'en rajoutez pas… Il n’est pas avec vous "Cette Fois-ci" ! Mais il doit bien se trouver quelque part ?... Oh, mon Dieu ! J’ai un doute terrible ! Il est peut-être allé voir André ! Oh, non, pas çà… Pourvu qu’il ne soit rien passé entre eux…

-         Ne vous faîtes donc pas de soucis… Dominique n’est pas un homme violent ! Cela ne lui ressemblerait pas d’aller « casser la figure » de son am… de son ex-ami… Et, de plus, Dominique n’est pas "au courant" de ce que vous et André avez fait ! A moins que…

-         A moins que quoi ?

-         A moins qu’André lui ait tout dit !

- Ah ! Ce n'est pas possible ! Il n'aurait pas fait ça ! Pas ça !...»

à suivre...

P.F.J.

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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 18:02

Les Chants mêlés 30

Chant VIII
Deuxième couplet

Dominique sortit du bureau d’André, alors que celui-ci, lui hurlait « Fous le camp ! Tu es viré ! Passe demander ton compte à la caisse et ne reviens jamais plus ici ! » et un monceau d’autres invectives et d’injures…

Mais Dominique n’en avait cure… Il bondit dans sa voiture, bien décidé à rentrer chez lui et s’expliquer une bonne fois avec Elisabeth. Il conduisait vite, très vite, et ne s’apercevant pas qu’il avait grillé un feu rouge, il fut pris en chasse par une patrouille de police ! Toutes sirènes hurlantes, cette dernière eût vite rattrapé le « chauffard ». Le conducteur de la voiture des représentants de la Loi lui fit signe, arrivé à sa hauteur, de s’arrêter immédiatement. Dominique n’y prêta pas attention et continua sa route. Alertée, une autre patrouille lui barra la route au détour d’un croisement. Dominique se vit obligé d’obtempérer, et éteignit son véhicule… Aussitôt, les agents se précipitèrent pour l’extraire sans ménagement de sa voiture, et le menottèrent séance tenante… Jugeant que l’individu était dans un état de surexcitation anormale, ils décidèrent de l’emmener sans commentaires superflus au Commissariat le plus proche.

Dominique, un peu plus calme après cette arrestation imprévue, se vit introduire dans le bureau du Chef de Poste, et forcé manu-militari à s’asseoir sur une chaise.

« Alors, Monsieur ? Vos papiers ont l’air de nous raconter que vous êtes un homme assez banal. Votre conduite ne l’était pas, elle ! Je vous écoute. Pourquoi rouliez-vous ainsi ? »

Dominique ne répondait pas… Muré dans un silence total, il ne regardait même pas l’homme qui lui faisait face. Ce dernier reposa les mêmes questions. Dominique, à la troisième reprise, ce décida à dire :


Dominique 2

« De toute façon, je n’ai rien à dire, et puis… vous ne comprendriez pas ! Vous ne pouvez pas comprendre...

-         Et qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ? Je ne suis pas stupide… Quand un chauffard exécute des tels rodéos en ville, il a une bonne raison, où il est malade !

-         C’est ça ! Je suis malade !

-         Eh bien nous allons faire appeler un médecin ! C’est dans la procédure, lors d’une mise en garde à vue… Parce qu’à partir de cet instant, vous êtes en garde à vue ! Veuillez ôter votre ceinture, vos lacets de chaussures, cravate, chaîne et bijoux… Sans oublier votre montre-bracelet. Vous avez aussi le droit de donner un coup de téléphone. Avez-vous un avocat, ou voulez-vous qu'on en désigne un "d'office" ?

-         En garde à vue ? Mais, pourquoi ? Qu’ai-je fait pour être ainsi traité ? Je ne veux ni médecin, ni avocat, ni quoi que soit ! Je veux sortir d'ici et tout de suite»

Là-dessus, Dominique fut emmené dans l’arrière champ du Commissariat et fut enfermé dans une cellule du plus simple apparat. Un banc, une mauvaise couverture et un trou pour toute « commodités ».

Une fois seul Dominique s’assit, la tête dans les mains, et tenta de mettre un peu d’ordre dans ses pensées. Que se passait-il donc, vraiment, pour en être arrivé là ? Comment Elisabeth, qu’il aimait par-dessus tout, avait-elle pu le tromper… Et avec son meilleur ami… Leur vie jusque là était sereine, paisible, avec parfois même de la tendresse, de la complicité entre eux… Etait-ce de sa faute, à lui, si les choses avaient « dérapé »… La seule et unique chose ? La seule et… Françoise ! C’était donc bien cela ! Elisabeth avait fait une très grosse crise de jalousie, et avait… Non, ce n’était pas possible ! Il n’avait rien fait de mal, de répréhensible… Elisabeth, elle, avait commis une bien plus grande erreur, en n’accordant plus sa confiance à son mari, et en… Mais, peut-être se trompait-il en pensant cela ? Peut-être, peut-être, Elisabeth n’était pas la femme qu’il avait aimée… Qui sait combien de fois, elle l’avait trompé… Il se sentit minable, sali, écœuré.  Il avait été pris pour un imbécile, pendant toutes ces années, pendant lesquelles il avait cru au bonheur conjugal ! Il était le « cocu magnifique », l’antihéros de son cercle familial et de celui de ses amis et connaissances… Comme ils devaient tous rire dans son dos… Elisabeth avait peut-être couché avec la plupart d’entre eux ?...

Sous la couette

Comment avait-il pu aimer à ce point une femme ? Comment avait-elle pu être si cynique à son endroit ? Comment… Comment… La peste soit de la confiance accordée aux femmes !

à suivre…

P.F.J.

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9 janvier 2010 6 09 /01 /janvier /2010 17:23

Les Chants mêlés 29

On sonna à la porte, et Élisabeth fit un gros effort, tout en essuyant ses larmes, pour aller jeter un œil dans le judas.


Elisabeth-4.jpg

« Qui cela peut-il être, à cette heure-ci ? » marmonna-t-elle.

Elle ouvrit la porte et se trouva face à un homme qu’elle ne connaissait pas.


Robert.jpg

« Oui, Monsieur, que voulez-vous ? »

Le « Monsieur » en question n’était autre que Bob, qui avait trouvé l’appartement de Dominique et Élisabeth. Apercevant Françoise depuis l’endroit où il se tenait, il la désigna du doigt :

« Je suis Robert, le mari de Françoise !

-      Le mari de… ? Comment êtes-vous ici ? Et pourquoi ?

-      Faites-le entrer, Élisabeth – suggéra Françoise, du salon où elle attendait – Bob est de bon conseil et saura nous aider dans notre situation…

-      Notre situation ! Mais c’est moi qui suis en mauvaise situation ! Et puis, votre mari ne sait rien de ce qui s’est passé !

-      Si, si, je vous assure qu’il est un homme capable d’amener un peu de clarté et de calmes résolutions à tout problème, fut-il seulement le vôtre ! »

Élisabeth, sans aucune détermination réelle, s’effaça pour laisser passer Robert, qui se dirigea vers Françoise, avec un air réprobateur sur le visage.

«  Mais enfin, Chérie, que fais-tu ici ? Je me suis bien douté que les choses n’allaient pas se passer ainsi, sans que tu ne prennes l’initiative ! »

Françoise, avec l’autorisation tacite d’Élisabeth, conta à Bob les faits, tels que toutes deux en avaient discuté avant son arrivée.

Bob et Françoise

« Élisabeth – commença t-il – je peux vous appeler Élisabeth ?... Tout cela n’est qu’une suite de quiproquos navrants ! Voyez-vous, je ne me suis pas alarmé, moi-même, quand Françoise m’a dit qu’elle s’était fait un ami de Dominique… sans doute ne suis-je pas un homme comme la majorité de mes semblables, mais j’ai tout de suite cru à cette amitié !

-      Le problème, monsieur, est que moi, n’y ayant pas cru, j’ai fait la bêtise de ma vie ! J’ai trompé Dominique avec son meilleur ami, simplement par vengeance, incrédulité et désespoir !

-      Vous auriez, peut-être, dû en parler, d’abord avec Françoise, puisque vous ne portiez aucun crédit aux dires de Dominique… même s’il vous assure de ses sentiments pour vous.

-      Vous en parlez facilement, vous ! Je n’ai pas eu une éducation qui me permette de comprendre ces choses, ces situations-là… Une amitié, réelle, entre un homme et une femme, cela est hors de ma conception des rapports humains… Comment aurais-je pu… imaginer que…

-      Allons, allons, Élisabeth – fit Françoise – les choses ne sont peut-être pas aussi graves que cela… Dominique est un homme intelligent, posé et apte à comprendre et admettre cette suite d’erreurs commises ! Et puis, il vous aime, il vous l’a dit et prouvé pendant des années ! Je vais vous dire ce que j’en pense, pour que nous reprenions chacun nos vies comme elles auraient dû être en fin de compte. Confions à Bob le soin d’en discuter avec votre mari ! Bob est tout à fait à même de faire comprendre à Dominique ce qui s’est réellement passé, et pourquoi, et le ramener à une vision toute différente de celle que vous imaginez…

-      Et comment voulez-vous qu’il comprenne que je l’ai trompé avec André ? Comme vous dites, si cela s’était passé avec un autre, un inconnu, peut-être, et encore… mais avec André, vous vous rendez-compte ? »

à suivre...

P.F.J.

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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 16:37

Élisabeth leva la tête vers Françoise, avec l’air de quelqu’un qui a perdu de sa superbe.

Elisabeth curieuse

« Alors, si ce que vous dites est la réalité, j’ai tout perdu !

-      Vous n’avez rien perdu… Dominique est encore à vous, et il l’a toujours été ! Il vous aime… Vous ne devez plus en douter !

-      J’ai tout perdu, vous dis-je…

-      Allons, allons Élisabeth, permettez que je vous appelle par votre prénom… Je vous dis que Dominique est prêt à tout pardonner !

-      Non, il ne me pardonnera pas…

-      Enfin, ce que vous avez fait n’était qu’une preuve de l’amour que vous lui portez !

-      Non, il ne le prendra pas ainsi… »

 
Chant VII

Quatrième couplet

«  Que dis-tu là, André ? Coucher avec mon meilleur ami ! Qu’est-ce là encore ? Tu veux me faire plus de mal ? Il ne te suffit pas… Attends, est-ce vrai ? Élisabeth aurait couché avec mon meilleur ami ! Mais pourquoi ? Et lequel de mes amis ? Tu essaies de me faire marcher… Tu me fais le même coup que tu as fait à Élisabeth ! Tu prêches le faux pour…


Dominique 2

-
     
Mais tais-toi donc ! Je te dis que j’ai couché avec ta femme ! Tu veux en savoir plus ? Ton meilleur ami, c’est bien moi, non ?

-      Toi, mon ami ! Ah non, pas après ce que tu viens de dire… Tu n’es qu’un salaud ! Un dégoûtant personnage qui ne recule devant aucune lâcheté… La femme d’un copain est dépressive, et tu en profites ?! Mais tu mérites que je te casse la figure, espèce de porc !

-      Je t’ai dit que je pensais ton couple fini ! Ce n’est tout de même pas de ma faute si… »

Dominique envoya un terrible coup de poing à André, qui chancela et tomba la face contre son bureau.


André 2 

Chant VIII

Premier couplet

Bob, après avoir mis bout à bout l’histoire que lui avait racontée Françoise le soir dernier, et le fait qu’elle n’aille pas au Labo ce matin, fut pris d’un doute quand à ce qui devait ou pouvait se passer ! Françoise était bien capable de « faire des siennes » et d’entamer une démarche dangereuse envers Élisabeth…  Se souvenant vaguement de l’endroit où Dominique et son épouse habitaient, il résolu d’y aller, « histoire de veiller au grain ».

  *

Françoise était toujours debout, devant Élisabeth qui n’arrêtait pas de répéter la même chose.

« Mais enfin, je vous dis qu’il ne pardonnera pas, et je sais de quoi je parle !

-      Vous n’avez rien fait de grave, ni commis un crime !

-      Ah, vous voulez tout savoir, hein ? Pour aller tout raconter à Dominique ! Et ainsi, vous pourrez le garder pour vous toute seule… pas comme un « ami », comme un « frère » ainsi que vous le nommez !

-      Ne recommencez pas, Élisabeth… Puisque je vous dis que Do…

-      Je l’ai trompé, moi ! Vous comprenez ? Je l’ai trompé, croyant qu’il avait une aventure avec vous ! Et c’est de votre faute !

-      Mais, enfin, Élisabeth… Je suis une femme, comme vous, et je peux comprendre que vous ayez fait un « écart » dans moment de désespoir ! Une fois, ce n’est peut-être pas grand-chose ? Il convient sans doute d’oublier ce moment d’égarement… et tout rentrera dans l’ordre.

-      Ah, vous me donnez là de beaux conseils, vous, une femme si « comme il faut », avec une morale irréprochable et une place enviée dans la société ! Vous seriez prête à mentir à Dominique pour moi ?! Mais vous ne savez pas, pauvre folle, ce que j’ai fait !

-      Je ne vous donne pas de mauvais conseils, mais tente de vous expliquer que rien n’est perdu, et que tout peut recommencer entre vous deux, comme auparavant…. Quel couple n’a-t-il pas des dérives passagères ? Quel homme n’a-t-il pas de tentations qu’il refrène ou non, quel femme…

-      … qui couche avec le meilleur ami de son mari a-t-elle fait qu’il ne se passe rien, après ! »


Elisabeth peur

à suivre...

P.F.J.

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