Re-édition pour la Communauté Romans en ligne
Les Versets merveilleux 3
Verset V
Chapitre III
Androïde
Elisabeth et moi approchons, à bord de la petite navette mise à notre disposition, du sas hermétiquement clos du vaisseau de Catherine Shogloff ! Elisabeth ne tient plus en place. Elle paraît vivre cette mission comme une petite fille s’émerveillant devant une nouvelle poupée !
« Peter – me lance-t-elle sans me regarder – pourquoi le dossier que l’on nous a remis ne comporte-t-il aucun détail relatif à la mort de Catherine Shogloff ? Je veux dire « quel genre de mort » !
- Sans doute parce qu’on n’a pas pu, justement, le déterminer – dis-je, sur un ton professoral.
- Ah, bon ! Pourtant, les Médecins légistes… ?
- … Une partie du dossier semble, effectivement, avoir été classé « Secret Instruction » ! Peut-être ne veux-t-on pas émouvoir l’opinion publique. Tu sais, des millions de gens utilisent des cyborgs ! Jusque là, personne n’a jamais eu affaire à un « cyborg-assassin » ! Il y a là des données éthiques, économiques et politiques à ne pas négliger. Imagines-tu que l’on arrive à se méfier des cyborgs, au point que les gens s’en débarrassent ? Plus d’achats, plus de ventes, plus de fabrications… Des Entreprises qui ferment, le chômage qui réapparaît, les…
- L’économie sidérale n’est tout de même pas assise sur le commerce des androïdes !
- Non, bien sûr, mais notre type de vie, aujourd’hui, est largement fondé sur l’utilisation des androïdes et autres robots à des tâches autrefois humaines. »
Nous arrivons. Une légère secousse nous indique que l’arrimage est effectué. Elisabeth et moi sommes déjà devant la porte du sas de transbordement, alors qu’un officier nous annonce qu’il faut attendre la venue d’Hilary Tooth, le policier Martien. Ce dernier ne se fait d’ailleurs pas attendre très longtemps.
« Allons-y » – lance-t-il en passant devant nous, alors que le sas s’ouvre, à la façon d’un vieil obturateur photographique des siècles passés.
Elisabeth me prend le bras et s’engage derrière moi sur les pas d’Hilary. Lorsque nous prenons pieds sur le vaisseau, elle me serre si fort que ses ongles pénètrent presque ma combinaison…
« Aïe ! Elisabeth, mon petit, tu es un flic… Du sang-froid, du sang-froid ! »
Elle ne ma lâche pas, alors qu’Hilary finit d’ôter les scellés magnétiques. Il nous fait signe de le suivre dans une coursive sombre et froide. Il y règne une odeur de mort. C’est en tout cas l’idée que nous nous en faisons ! Et je ne suis pas le seul à être mal à l’aise. Elisabeth est plus crispée que jamais, soudée à mon bras des deux mains, et l’halène courte…
Hilary bascule un commutateur sur un panneau mural. Aussitôt, un éclairage d’outre-tombe se fait, alors que le bruit caractéristique d’un échangeur d’ait vient solliciter nos oreilles. Nous sommes devant un autre sas. Hilary manipule une commande d’ouverture, et pénètre dans ce qui s’avère être la cabine personnelle de Catherine Shogloff ! A peine ai-je jeté un bref coup d’œil à l’intérieur, que je saisis Elisabeth par les épaules et le jette pratiquement hors du sas !
« Non, Elisabeth, ne regarde pas ! Reste dehors, je t’en prie ! »
Elle se rebiffe et entre dans la cabine…
Verset V
Chapitre IV
Elisabeth, depuis deux jours terrestres entre les mains des médecins martiens, se remet petit à petit du choc émotionnel qu’elle a éprouvé en entrant dans la cabine de Catherine Shogloff…
Elle est allongée sur le dos, les yeux fixant le plafond de sa chambre d’hôpital ! Elle ne tourne pas seulement la tête lorsque je m’approche d’elle et l’embrasse sur la joue.
« Elisabeth ! C’est moi, Peter, TON Peter… Tu me reconnais ? Comment vas-tu ? »
Elle ne répond mot. Je lui caresse le visage, remonte ses mèches brunes sur son front, et place mon visage en face du sien… Son regard semble me traverser de part en part, toujours pointé vers le plafond !
Je m’assure que son pouls est encore là. Elle respire et ses yeux cillent. Elle ne veut ou ne peut parler… C’est cela. Je vérifie qu’elle ait de l’eau dans le flacon posé près d’elle sur sa table de chevet… Bon ! Je vais retourner au Quartier Général de la Police Martienne. Je dois poursuivre mon enquête. Des témoins potentiels à interroger ? Peut-être ceux qui ont assisté au départ de Catherine Shogloff ? Sans doute les représentants de la Firme qui a construit les Cyborgs ? Et puis, je dois encore lire et relire les comptes-rendus médicaux, réécouter l’enregistrement du Journal de Bord de Catherine, questionner ceux qui, les premiers, ont ouvert le vaisseau à la dérive…etc.…
Du « pain sur la planche », comme on disait jadis ! Du pain ? Je sais ce dont il s’agit. On en consomme encore quelquefois sur Terre ! Mais… « Sur la planche ! » Pourquoi ? Drôle d’expression ! Nos ancêtres avaient sûrement de bonnes raisons lorsqu’ils créèrent dictons, proverbes ou expressions aujourd’hui désuètes.
Mais, cela m’éloigne de mon sujet : Elisabeth !
Elle ne bouge toujours pas. Pas le moindre tressaillement sur ses traits. Je m’approche de la baie vitrée de la chambre. Curieuse sensation que de dominer le désert martien depuis le 218ème étage de cet immeuble ! Je me décide à partir. Jetant un dernier regard vers Elisabeth, j’ouvre la porte de sortie et …sors !
« On fout le camp d’ici, attends-moi ! » - hurle-t-elle à mon adresse, se dressant sur son lit comme un diable monté sur un ressort.
Verset VI
Chapitre I
Révélation
Bien des années ont passé. J’ai fini par épouser Elisabeth. Non ! Nous n’avons pas encore d’enfant… Elle a quitté la Police, au lendemain de son séjour sur Mars. Elle s’est vite rétablie, soyez tranquille. Elisabeth est un roc ! D’ailleurs, elle n’est pas restée longtemps inactive. Elle est journaliste aujourd’hui… Cela la tentait terriblement. « L’affaire Shogloff » aura été le déclencheur qui lui aura permis de sauter le pas ! Elle mène toujours ses enquêtes, mais …scientifiques. Quelques temps après notre retour sur Terre, elle a été prise d’une boulimie de connaissances… Elle a dévoré des montagnes d’ouvrages, de la Physique thermonucléaire à la Cybernétique, de la Chimie élémentaire à la Biologie fondamentale ! Tous les scientifiques lui doivent une remontée spectaculaire de leurs droits d’auteurs ! Puis, elle a été embauchée par un journal scientifique, le Solaris Herald Science. Et moi, me demanderez-vous ? Je suis flatté de l’intérêt que vous portez à ma modeste personne. Si, si ! Je suis toujours « flic » ! Je n’ai même pas changé de Patron, et par voie de conséquence, de statut… de flic de base.
« L’affaire Cyborg 47132428 » n’a pas été une source de lauriers ou de promotion pour moi. La conclusion de l’enquête ? « Inexplicable » et « Classée sans suite » ! Archivée parmi des milliers d’autres, et aujourd’hui oubliée…
Mais, si je vous en reparle, c’est qu’il pourrait y avoir un élément nouveau qui la ferait « sortir de sa tombe » ! Bien sûr, il faudrait, pour cela, que je démontre ce nouvel élément, que je dépose une demande de réouverture, etc.… etc.… Tout le saint frusquin habituel, quoi ! Nous n’en sommes pas là. C’est pourquoi je vais commencer par vous parler de ce que j’appelle « la petite chose bizarre qui pourrait bouleverser les grandes choses bien établies » ! A vous, ensuite, de tenter de rouvrir le dossier ou pas… Cela ne regardera que vous !
Tout débuta à se mettre en marche, dans ma petite tête, un jour où je flânais, en quête de quelque événement type « chien écrasé », à mettre sous ma dent de flic… Nous sommes dans l’Astroport du Nouveau Paris, au cœur de la France telle qu’elle était jadis, en ce qui fut l’Europe géographique. Je crois me souvenir que cet endroit fut appelé To Loose, Toulose, Tolouse ou quelque chose de ce genre… Il paraît que ce fut le « berceau » de l’aviation et de la conquête spatiale ?! De moi à vous, l’aviation était cette science qui permettait de faire voler des engins dans les airs, sustentés par des ailes porteuses grâce à un flux de filets d’air qui créaient une dépression, lorsque l’engin avançait assez vite, sur l’extrados de ladite aile.. Ils étaient déjà futés, nos ancêtres, hein ? Bon, revenons à nos…
J’étais mollement occupé à boire un rafraîchissement, au Bar des Equipages où j’avais « mes entrées », lorsque Phil Gordon, un vieux cousin éloigné, je veux dire « plus âgé que moi », du côté de ma Maman, me tapa sur l’épaule – la droite, je crois. Après les effusions de nos retrouvailles, il me conta une histoire… Une histoire vraie (sic) qu’il avait vécue avec son ami de toujours, un certain Fred, aujourd’hui « disparu » !
Et Phil raconta, raconta, raconta un long conte qui ma parut banal, au premier abord. Une histoire d’amour semble-t-il, comme des milliards d’individus en ont connu au moins une depuis l’origine des Temps et de l’Espace ! Seulement, voilà ! Il y avait effectivement quelque chose de « spéciale » dans cette histoire… Phil la tenait d’un enregistrement vidéo que Fred lui avait « légué » avant de disparaître avec Eva ! Je vous dirai plus loin le mystère de cette double disparition, pour le moins extraordinaire…
Verset VI
Chapitre II
Fred et l’objet de sa passion, Eva, ne paraissent pas, à son point de vue, avoir eu un comportement naturel… Normal au sens où l’on analyse d’habitude un « coup de foudre » ! Lors de ce fameux souper à bord de l’Orion, après qu’Eva et le Commandant de bord du Pégase fussent auprès de leurs hôtes, l’attitude d’Eva, selon Phil, aurait été tout à fait imprévisible. C’est très soudainement, alors que le souper s’éternisait entre les poires de Bételgeuse et le fromage des Chèvres de Castor, qu’Eva fut prise d’une espèce de crise d’hystérie…
« Elle fut secouée comme de spasmes violents, puis s’affaissa sur son fauteuil en regardant Fred, et lui aurait lancé « Je suis Che, et j’ai enfin trouvé ce que je cherchais ! ». Fred s’était levé d’un bond et précipité vers elle, l’entourant de ses bras et essayant de comprendre ce qui lui arrivait. Fred, sans brusquerie, la tenait par les épaules et lui posait maintes questions auxquelles Eva ne répondait que par : « Je suis Che ! ».
Tous les convives s’étaient levés, dispensant eux aussi leurs conseils. Chacun pensait qu’Eva était dans une espèce de crise d’hypnose. Mais elle se mit soudain à parler, s’adressant à Fred :
« Voilà, je peux m’expliquer maintenant ! L’esprit de ce corps que j’occupe, « Eva » comme vous l’appelez, n’en est plus le maître. C’est Moi, Che-Ôoo qui m’exprime par sa voix… »
Fred entraîna Eva dans une alcôve, à l’abri des regards et oreilles trop indiscrets. Seul avec elle, il referma une porte sur eux, et demanda à Eva :
« Que dis-tu ? Je ne comprends rien à tout cela…
- Vous ne pouvez comprendre – répondit Che-Ôoo par la voix d’Eva – Laissez-moi vous raconter cela sans m’interrompre ! »
Fred, abasourdi, lâcha Eva qui s’assit dans un sofa.…
« Je ne suis pas celle que vous voyez ! J’occupe son corps et son esprit. En fait, je suis…comment vous faire entendre cela ? Je suis un « pur esprit ». Votre espèce humaine n’est pas la seule dans cette partie de l’Univers, ni dans les autres univers parallèles ! Il y a des milliards d’autres espèces vivantes qui ont cette faculté qui est la notre, la Pensée… Mais bien des formes de vie l’ont acquise. Certaines sont matérielles, comme la vôtre, différentes par les formes qu’elles ont adoptées, mais certaines autres, comme la mienne, se sont affranchi de leur matérialité, et leur évolution les a amenées à n’être plus qu’esprits ! Ainsi, moi-même, Che-Ôoo, ne suis qu’un… esprit sans corps ! Le Temps et l’Espace, le continuum, ne sont que des notions propres à vous et aux « évolutions » matérielles ou animales, comme l’espèce humaine… Je suis… immortel. C’est le mot qui convient le mieux à votre entendement. Je me déplace dans toutes les dimensions du Temps et des Univers qui coexistent, par ma seule volonté ! Je peux investir n’importe quelle apparence, me glisser dans l’objet le plus infime ou le plus immense, le plus simple ou le plus incongru ! Et dans les deux sens de l’Infini, le microcosme ou le macrocosme… »
Et Che-Ôoo continua ainsi, longtemps, à « se justifier » face à Fred, béat et incrédule devant un tel déversement d’inepties. Inepties, voire ?
à suivre...
P.F.J.