(déjà mise en ligne en Juin 2009)
Petite nouvelle, de celles qui viennent "comme çà", on se sait pourquoi !
Silhouette vaporeuse, aérienne, lumineuse et vive, elle marchait, par habitude sans doute, sautillait, plutôt, de nuage en nuage ... Au-dessus d'elle, le ciel, d'un bleu limpide, semblait un dôme magique jeté sur l'immensité de la mer de nuages. Pas vraiment une mer, d'ailleurs, plutôt un océan, un monde de creux, de plaines, de montagnes mouvantes, têtes de cumulus ou drapages de cyrus. Cà et là, une trouée sombre, à peine voilée d'une brume légère, cristaux de glace minuscules suspendus à l'atmosphère. Et lefroid, mordant, profond et sans faille qui règne en maître sur cet univers immaculé ! La silhouette s'arrêta soudain dans sa promenade solitaire, mue par Dieu sait quel besoin, mais lequel, ou raison, encore ou déjà, elle regardait dans une de ces trouées procédées du vent dans la marée, la lente marée des nuées. Insensible au souffle de l'air, transparente à sa morsure, elle humait pourtant les effluves qui montaient de ce puit céleste. Au-dessous, dans la grisaille et l'ombre, loin, très loin d'elle, elle apercevait le miroir scintillant d'une rivière, bordée d'une frange d'écume verte aux allures de forêt. Elle regardait et ne voyait rien ... Simplement bercée du reflux de ses souvenirs qui fuyaient, qui fuyaient ... Derrière elle, une douceur furtive lui fit tourner la tête. Elle ne connaissait de l'inconnu que le savoir inné qu'il avait d'elle, et elle de lui ! Il était là et ailleurs, partout à la fois, à sa propre image. Mais lui ne fuyait plus, lui ne savait plus, lui avait déjà oublié ... Il partait, il partait bientôt...
" Que regardes-tu ? lui demanda-t-il
-Je cherche une Fleur bel inconnu, une Fleur dontj'ignore le nom. L'ai-déjà oubliée, comme j'ai oublié mon nom ? -
-Il faut que tu oublies, il est temps !
-J'ai l'éternité pour oublier. Je ne veux point, déjà, perdre cela à tout jamais (d'un geste large, elle désignait l'âbime)
- Tout cela n'est plus, pour le moment. Tu dois te préparer à revenir, mon frère, ma soeur ...
- Pourquoi m'appelles-tu frère ou soeur, même si je suis... J'ai un prénom, un visage, un passé ? Je m'appellais ...
- Tu n'as plus de visage, plus de nom ! Ton passé n'est plus le tien. Seule sa charge te reste, ton karma qu'il te faut assumer. Désormais, tu es Toi, pour les cycles qui viennent. Plus rien ne te rattache à celle ou celui que tu fus ! Vois pendre le long cordon d'argent, resplendissant de l'énergie nouvelle qui te fera renaître ...
- J'aimerais, une dernière fois, voir et sentir cette Fleur, la tenir dans mes mains, la réchauffer de mon haleine, la planter en ce lieu d'éternité. Rien qu'une toute dernière fois...
- Tout cela n'est plus ! Oublies la Fleur, oublie son image. Il ne dépend plus de toi, de moi ou de quelqu'un d'autre que tu restes là. La multitude de nos frères et soeurs te réclament !
- Cette multitude me dévore, m'aspire à elle pour me dissoudre en son sein !
- Tu ne peux t'y soustraire. C'est une Loi Millénaire, tu vas te fondre en nous, afin d'accomplir ta tâche, jusqu'à la Lumière Finale ...
- Ne peux-t-on enfreindre cette Loi ? Ne puis-je ...
- Tu ne le peux ! Pas plus que tous ceux et toutes celles qui ont essayé depuis le Commencement des Temps et des Espaces... Il te faut partir ...vers l'Oubli !
- Je sens encore les cris qui me réclament, là-bas, sous les nuées ...
- Ils n'appellent de toi que ton souvenir... Tu n'es plus celle ou celui qu'ils ont aimé, haïe, chéri ou detestée.
- Un Plus Grand parmi nous, n'a-t-il pas fait le chemin à l'envers ?
- Le Fils de l'Homme, peut-être est-ce de Lui dont tu veux me parler ? Il était chargé d'une Mission à lui confiée par ...
- Qui la Lui confia ? Etait-ce toi ? Qui ?
- Peut-être toi, ou moi, ou toi et moi, et les autres. Peut-être tous à la fois, ou Lui-même ?
- Ou Lui-même ?
- Pourquoi pas ? Peut-être Lui-même ... !
- Tu n'as donc pas vraiment tout oublié ! Et tu voudrais que le fasse !
- Tu te trompes, j'ai tout oublié, mais il me reste le souvenir des autres, et le tien ...
- Lirais-tu en mon esprit ?
- Nous sommes ... esprits !
- Et cette main que je vois, et ce bras que je tiens ?
- Astrale, énergie spirituelle... souvenir éidétique !
- Et ma Fleur ?
- Il est temps de partir...
- Qui es-tu pour me quérir ainsi ? As-tu Mission, toi aussi ?
- Je suis toi, je suis moi... et les autres !
- Tu es moi ? Non pas encore ! Et ma Fleur ?
- Je suis aussi ceux d'en bas ...
- Ceux que j'ai tant aimés ? Tant chéris et laissés, à jamais ?
- A Toujours, car tu les reverras !
- Pourquoi pas tout de suite ?
- Le Temps n'est plus pour toi. Un autre temps viendra, viens !
- Combien d'années encore ? Ai-je transité depuis peu, ou depuis si longtemps qu'il ne m'en souvienne ?
- Tu auras un autre véhicule, plus beau, plus Fort ... Il ne tient qu'à toi, mais viens donc !
- Et ma Fleur ?
- Quelle fleur est-ce là, dont tu me parles sans cesse ?
- La plus belle, aux pétales de rose, à la blancheur du lys, au parfum du jasmin, au toucher de ..
- Ah ? Celle-là ? ..
- Connais-tu son nom, toi qui faisait semblant de ne pas la connaître ?
- Si je te le disais, viendrais-tu, après ?
- Dis, dis vite, que je sache et ne l'oublie à jamais !
- Tu ne l'oublieras pas... car tu la reconnaîtras toujours ! C'est l'Amour !
- Il est vrai ? Partons alors, car je le savais. Vers où devons-nous monter ? Quels Cieux allons-nous aborder ? Sais-tu ?
- Quoi donc ?
- J ai oublié mon nom, mon visage, mon passé ...
- Déjà ? Tu viens d'arriver ...
- Mais je dois me hâter. ..
... ? ...
- ... et revenir cueillir cette Fleur !
- Icelle dont tu me disais ...
- Viens partons !
- Vers une nouvelle naissance, une autre vie ; partons, il est temps, d'autres arrivent qui voudront, eux aussi, par la trouée regarder, afin de jeter un dernier regard à la Fleur...
- Quelle Fleur ... ?
Les deux silhouettes vaporeuses, traînant derrière elles, agité par le vent. leur long cordon d'argent, sautillaient de nuage en nuage, marchaient plutôt, par habitude, une vieille habitude, sans doute ... Bientôt, bientôt, elles allaient tout oublier.