"Et c'est parfois dans un regard, dans un sourire

que sont cachés les mots qu'on n'a jamais su dire"

Yves Duteil

Re-édition pour la Communauté "les enfants des astres"

Je m'étais souvent demandé si un homme pouvait écrire en se mettant dans la peau, et surtout la tête et le corps d'un femme... Oui je sais, bien d'autres ont essayé, et/ou réussi, mais pas moi ! Il fallait que j'essaie... 

Par les persiennes closes de ma chambre, filtraient de doux rayons de soleil, qui laissaient bien augurer du jour qui naissait. Du bout du doigt, j'éteignis mon radio-réveil, afin de garder à l'esprit les notes agréables qu'il diffusait, craignant surtout que quelque commentaire aride ne vint détruire l'atmosphère de paix et de bonheur dans lequel je venais de m'éveiller.
Douillettement blottie au fond des draps, toujours tièdes de la chaleur de mon corps, je tentai de jouir profondément du bien-être qui m'envahissait. Les bras noués autour de mes frêles épaules, je ramenai mes jambes vers moi, comme pour concentrer un peu plus mon bonheur d'être moi, toute entière. Au-dehors, la nature semblait encore engourdie de la fraîcheur de la nuit. Pas un bruit ne venait troubler le silence tranquille de mon nid. Je réalisai soudain que c'était aujourd'hui qu'ELLE arrivait ! Geneviève arrivait ce matin ! Je me levai d'un bond, éclatant de joie ... J'envoyai au diable draps et couvertures et me précipitai à la fenêtre. Ouvrant tout grand les deux battants, je poussai en riant les volets de bois verni. L'astre solaire inonda mon visage, faisant cligner mes paupières, comme pour me signifier sa Toute-puissance. J'aspirai profondément les senteurs énivrantes qui flottaient dans l'air frais du matin. La nature parut se réveiller à son tour, un peu comme si elle avait attendu mon signal. Le ruisseau voisin gargouilla de plaisir, tandis que les oiseaux moqueurs piaillèrent leur bonheur d'exister. Un papillon, tout de blanc vêtu, voletant tout près de mon nez, dut me murmurer quelque gentillesse que je ne compris pas... Les fleurs des parterres s'ouvrirent pour moi, me lançant mille couleurs pour me mieux séduire. En cette fin de XXII ème siècle, on avait su, çà et là, préserver quelques havres de verdure, qui étaient des endroits privilégiés où il faisait bon vivre, loin des métropoles crasseuses et hyper-industrialisées. Je me retournai vers ma chambre qui me parut soudain beaucoup moins gaie. J'entrepris d'y mettre rapidement bon ordre, et refis mon lit à toute vitesse. Laissant tomber ma chemise de nuit, à mes pieds, je m'observai un moment dans le grand miroir de l'armoire. Mes longs cheveux blonds, un peu emmêlés sur mes épaules après une nuit sur l'oreiller, coulaient comme deux rivières scintillantes jusqu'à mes petits seins pointus. Je les jetai en arrière et, satisfaite de l'ensemble harmonieux de ma silhouette, me précipitai vers la salle de bain pour y faire couler un bain. Soupoudrant copieusement l'eau tiède de senteurs odorantes, je me glissai dedans en ronronnant de plaisir, telle une chatte découvrant son bol de lait. J'étais prête peu après, et, terminant la tresse que j'avais commencée à mes cheveux, j'entrepris de choisir une robe dans la penderie de ma vieille armoire façon XX ème siècle... Dans le même temps, je pensai à Geneviève. Il y avait deux jours que je ne l'avais pas vue; depuis qu'elle était partie pour le Service d'Obstétrique du Centre Hospitalier Universitaire. Je n'avais pu lui rendre visite, trop occupée moi-même à l'entretien de notre potager, de nos ruches, de nos arbres fruitiers pour me rendre à la mégapole voisine de Toulouse. Mais cela ne comptait plus... Geneviève était de retour et j'étais si heureuse ! Je finis par découvrir une merveilleuse robe, d'un rose pastel qui allait si bien à mon teint. Enfilant à la hâte un petit slip, parfumé à la lavande dont je garnissais mon linge, je jetai la robe sur mes épaules nues, frissonnant au contact frais du tissu. Tout en donnant un coup d'œil furtif au réveil-matin, je me mis en quête d'une paire de chaussures. Il était déjà neuf heures trente, et Geneviève avait annoncé son arrivée pour dix heures ! C'était le vieil Amédée qui était allé la chercher avec sa vénérable camionnette du siècle dernier. Une ancêtre de la gent voiture où tout ou presque tenait avec des bouts de ficelle ou de fil de fer... Ajustant des espadrilles légères à mes pieds, j'emplis une tasse de café, que j'avalai goulûment, après l'avoir passée quelques secondes au micro-ondes. Je saisis, sur le perroquet blanc, mon chapeau de paille préféré, celui qui est orné d'un grand ruban azur, et m'en coiffai avant de sortir. Je descendis en courant les degrés du petit escalier de bois, qui menait à notre jardin. Arrivée au portillon vermoulu qui y donnait accès, je choisis de m'asseoir sur la roue de pierre, vieille meule à grains qui dormait là, dans l'herbe verte et tendre, depuis des temps inaccessibles à la mémoire collective.

Au loin, là-bas, soulevant un nuage de la poussière du chemin, arrivait déjà un véhicule... Geneviève ! C'était Elle, j'en était sure... Elle agitait sa main par la portière dont la vitre était baissée, pour me faire comprendre qu'elle était là, que c'était bien elle ! Remerciant Amédée lorsqu'ils se furent arrêtés devant moi, elle sauta littéralement de la camionnette et courut jusqu'à moi en riant.

" Béatrice! Oh, ma Béatrice, comme je suis heureuse ! - s'écria-t-elle en se jetant dans mes bras.

- Geneviève - lui répondis-je, émue - Je suis si heureuse aussi ! Comme je t'aime ...

- Je t'aime moi aussi - me murmura-t-elle à l'oreille - çà y est, les tests sont positifs ! Nous pouvons avoir notre bébé, une merveilleuse petite fille bien à nous !"
Notre baiser avait le goût du sel de nos larmes mêlées.

A la dérobée, j'observai le vieil Amédée. Il ne souriait pas. Il ne souriait plus depuis très longtemps. Amédée était un des quelques derniers mâles stériles, des derniers hommes devrais-je dire, qu'ils me pardonnent, qui hantaient encore la planète. Depuis la LoGeClHu ou LGCH, Loi de Généralisation du Clônage Humain, au milieu du XXI ème siècle, l'espèce humaine atteignait enfin la beauté et l'harmonie parfaites pour lesquelles elle avait été créée. Un chapitre des plus noirs de l'Histoire de l'Humain s'achevait, celui des guerres, de la sauvagerie... Le gouffre insondable des Temps s'ouvrait devant elles... devant Nous, les Femmes !

"In girum imus nocte et consumimur igni "

(Nous tournons en rond dans la nuit, et nous sommes dévorés par le feu) 

Proverbe latin

(Wikipédia)

Illusion d'optique !

Super, hein ?